Une bande annonce, une poignée de syllabes... terribles, accompagnées d'un coup de gong, coup de glas funeste : " Inspired by true events" "d'après une histoire vraie". Des mots et des images : des cheminées d'usine crachant des fumées toxiques, une vache morte, une ado à vélo le visage barré par un affreux sourire exhibant des dents pourries. Des images et des hommes (d'affaires) rayonnants, dans leurs somptueux costumes (les méchants à coup sûr). Des images et un homme, tassé dans une voiture trop grande, épaules voutées menton rentré, écrasé par le poids du monde, tel David terrorisé, face au géant DuPont, Goliath de l'industrie chimique; Bilott l'incorruptible, Ruffalo, le pourfendeur (déjà) de l'église pédophile dans "Spotlight" acteur engagé entre deux rôles enragés (et très lucratifs) d'uncredible Hulk chez Marvel. (#Lou Ferrigno for ever).


Et je l'avoue, ce (s) Ruffalo (s) là, le chevalier blanc tout autant que l'énervé tout vert ne m'enthousiasme(nt) pas, le bonhomme a le regard un peu éteint, la démarche lourde et l'exaltation rare. Pas plus que ne m'enthousiasment ces films-enquêtes convenus, souvent sans âme réelle, codifiés à l'extrême, mais devant lesquels il faut s'indigner sous peine de passer pour une abomination de la nature humaine, une sorte de docteur Petiot aux neurones atrophiés par les eaux troubles de Virginie occidentale.


Je n'ai pas c'est vrai l'indignation facile, et comme quelques-uns quand même, j'ai fini par honnir ces films-dossiers qui se contentent d'un sujet sans même avoir la volonté d'en faire une bonne oeuvre.
Pourtant, ce trailer, diablement bien troussé intrigue et même appâte le chaland. La dynamique est là provoquant l'envie de découvrir le film, et la scène que l'on imagine être le point déclencheur de l'intrigue, celle où l'on voit celui qui deviendra effectivement "le lanceur d'alerte", Wilbur Tennant, le fermier interpeller vivement l'avocat d'affaires est empreinte d'une telle sincérité, et ce "now you can defend me" (nah, yi caine dyfende mii!) prononcé avec l'accent du terroir et tant de bon sens donne déjà une belle crédibilité à cette histoire qui débute.


Ce "farmer" magnifiquement (le mot est très faible) interprété par Bill Camp, parce qu'il est victime des eaux empoisonnées par les rejets toxiques générés par la production de Téflon par la société DuPont, mais aussi parce qu'il connait la grand-mère de l'avocat qui représente les industries chimiques, va réussir à faire basculer ce dernier du côté des victimes et permettre de déclencher une longue et très délicate action en justice. Mais et c'est finalement tout l'enjeu du film, peut-on faire condamner DuPont de Nemours, ce géant de l'industrie chimique fondé en 1802 par leuthère Irénée du Pont de Nemours, pollueur sans état d'âme, qui a inventé le nylon (le film l'homme au complet blanc est inspiré de cette découverte), le Téflon donc, le Kévlar, le Lycra... et entretient des liens très étroite avec le pentagone ? La réponse est au final assez nuancée, et c'est avant tout le chemin parfois douloureux qui mène à cette réponse que Todd Haynes, son équipe et les producteurs ont choisi d'explorer, en mettant en place une mécanique infernale, immersive à la tension constante.


L'autre inconnue de Dark Waters résidait en effet dans la personnalité et la filmographie de Todd Haynes. Comment ce contemplatif, cet amateur du "Beau" allait-il construire un récit qui se devait d'être rythmé, un combat d'hommes de surcroît, lui qui par ailleurs se plait à dresser de si beaux portraits de femmes ?


Là encore la réponse est assez singulière, puisque le cinéaste parvient à construire une œuvre au rendu totalement différent des précédentes, mais en usant finalement des mêmes ressorts que ceux utilisés dans ses efforts passés. Haynes s'attache en premier lieu, à totalement ancrer son récit dans son époque (musique, autos et même couleurs des films de la fin des années 1990, au début tout du moins), dans sa réalité : les extérieurs ont été tournés sur les lieux mêmes, certains acteurs sont les protagonistes réels. L'image est également travaillée avec un soin particulier : les couleurs sont froides (les paysages d'hiver de Virginie sont d'un tel réalisme qu'un vent glacial vient nous mordre les os à la seule vue de certaines scènes).


Pourtant, et même si les personnages sont développés comme à l'habitude chez Todd dans leur globalité, (leurs défauts, leurs faiblesses, leur amertume ne sont jamais dissimulés), le ton mélancolique, habituel chez Haynes, s'estompe à mesure que certains personnages gagnent en épaisseur. Anne Hathaway, un temps réduite au rôle de l'épouse dévouée, au service de la carrière de son avocat de mari, va peu à peu dévoiler sa personnalité, "secouer" son homme lorsque celui-ci sera sur le point de flancher pour finalement révéler une vraie personnalité au sein du couple, là où habituellement dans les films de Toddy, les femmes ne peuvent s'épanouir qu'en dehors de ce couple qui est leur prison. Et à mesure que ces personnages gagnent en relief (même Ruffalo parait habité dans certaines scènes, si, si), ils sont confrontés à un monstre qui lui, n'a aucune faiblesse, une machine implacable, une ombre inhumaine semant la mort parmi les siens, qui sans le savoir en produisant le Téflon empoisonnent les eaux de leur ville et se tuent à petit feu.


Le mélo esquissé fait place à la terreur, le film-enquête un rien conventionnel se mue en thriller étourdissant porté par quelques scènes anthologiques, on pense à Citizen Kane bien sûr lorsque l'on découvre Bilott au milieu d'un monceau de dossiers, dans un des nombreux plan zénithaux du film. La scène du parking est d'une intensité redoutable, on pense enfin à Fincher lors de cette immense séquence dans laquelle l'avocat raconte l'incroyable à sa femme, les images se succèdent, se superposent dans un crescendo vertigineux pour finir en gros plan sur le visage magnifique d'Anne Hathaway, qui enfin prend toute la mesure de la situation. Ce (gros) plan rappelle beaucoup le cinéma de ... Todd Haynes , celui de l'émotion, à l'image de cette scène où l'on voit Wilbur Tenant prendre lui aussi la mesure de sa situation marmonnant un définitif (?) : "it's too late for that" .


Au fait, vous ai-je déjà dit à quel point Bill Camp...est remarquable ?

Yoshii
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le 21 janv. 2021

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Yoshii

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