Nota : film vu en avant-première au Café des Images de Caen, en présence du réalisateur


Quand on lui demande quel lien il fait entre le vent d'hiver agitant les arbres du jardin de l'hôpital Maison Blanche Hauteville à Paris et les désordres psychiques de la patiente qu'il montre à l'écran, Nicolas Philibert botte en touche. "Des arbres, c'est des arbres".


Alors bien sûr, un réalisateur ne maîtrise pas forcément tous les codes de son film. Tant pis pour la métaphore ! Mais si Nicolas Philibert est dans son genre un cinéaste militant, il n'est pas non plus sourd aux symboles de son film. Tout est une question d'humeur, d'indignation. A chaque film son combat.


Car quand on le presse de parler de ce qui l'a poussé à réaliser ce documentaire, le réalisateur d'Être et avoir est plus disert. Rendre hommage, avant tout, à ces travailleur.se.s de l'ombre, au contact permanent des patients mais dont on passe volontiers la complexité du métier sous silence. Défendre un service public et une formation qui, en dernier rempart, privilégient encore l'humain sur la performance économique. Alerter sur la précarité sociale, émotionnelle, professionnelle de certain.e.s étudiant.e.s dans un cursus exigeant. Chanter la diversité d'une profession qui brasse, en particulier à l'IFPS Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon à Montreuil, des impétrants praticiens venus de tous les horizons, de toutes les cultures et dotés de toutes les expériences.


Formellement sobre, scolaire dirait-on, découpé en trois actes, De chaque instant observe une distance emprunte de respect et de complicité avec ses sujets. Cherchant à "se faire accepter, pas à se faire oublier", Philibert a trouvé dans son documentaire, en entrant sur la pointe des pieds et avec beaucoup de modestie dans cet univers qu'il ne connaissait pas, ce rare et délicat équilibre sans lequel il aurait pu basculer dans le pathétique, le vulgaire voire l'obscène.


Sur le fond, il en convient lui-même, il n'a guère trouvé de matière pour montrer la détresse économique du fonctionnement de l'hôpital et du métier des infirmier.e.s. Mais il ne rate aucune occasion de la mettre discrètement en évidence, en montrant sans fard la froide mécanique de certaines situations, de certains comportements, et la charge émotionnelle qui pèse sur ces professionnel.le.s. La force de ce film, et c'est là aussi ce qu'il a voulu souligner, c'est l'humain derrière la blouse blanche, qu'elle soit sur les épaules d'un étudiant ou sur celles d'un formateur. Et à ce titre, il s'agit d'un succès indubitable : il n'est pas un moment ou la pétillance ne répond à la morosité, le rire aux larmes, l'implication au doute, la vie à la mort. Plusieurs fois la salle a été secouée de rires devant les cabotineries de ces aspirants-héros ordinaires dont Philibert a salué la maturité et la force de caractère.


L'homme qui est derrière la caméra, si souvent observateur qu'il en perd l'habitude d'être observé, est tout aussi touchant. D'abord emprunté, cherchant ses mots, ébloui par le spot braqué sur la scène et comme impressionné par le public à ses pieds, il puise progressivement dans l'écoute attentive et les questions de son audience l'énergie qui l'a animé lors de la réalisation de son film. Au point qu'il n'a aucun mal à partager la fierté qu'il éprouve à l'égard de ses sujets, la juste colère qui anime son élan militant, son indignation face à la dévalorisation encore largement partagée de la société vis-à-vis de la profession.


Quand zazashe lui demande quel serait son voeu pour l'avenir de la formation d'infirmier, il répond avec ferveur : "Que l'humanité de ce métier et l'accessibilité de ses formateurs ne soient pas sacrifiées".


C'est en effet tout ce qu'on peut nous souhaiter.

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le 11 sept. 2018

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Fwankifaël

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