L’histoire étant d’une grande richesse, le mieux est probablement de commencer par l’inventaire des personnages principaux.

Nejat Aksu est un retraité d’origine turque qui vit en Allemagne, à Brême. Veuf et âgé, il ne se contente pas d’attendre la mort. Le désir ne le quittant pas, il va de temps en temps dans le quartier chaud de la ville pour choisir une prostituée.

Ali, fils de Nejat vit seul également. Probablement émigré de la deuxième génération, il s’est remarquablement intégré, puisqu’il enseigne la littérature allemande en faculté. On le voit décortiquer la pensée de Goethe.

Yeter est la prostituée que va voir Nejat. Une femme qui a l’expérience de la vie et qui, sans être victime pour autant, reporte tous ses désirs de réussite sur sa fille Ayten (27 ans) qui la croit vendeuse de chaussures. Dans la rue, Yeter pourrait passer pour une femme comme tant d’autres. Dans le métro, elle est prise à partie par deux hommes qui lui font de l’intimidation parce qu’ils l’ont entendue s’exprimer en turc. Une scène très forte où on sent tout son caractère, sa détermination à vivre comme bon lui semble en dépit de toutes les pressions qui s’exercent sur elle.

Depuis de longs mois, Yeter est sans nouvelles de sa fille Ayten. Elle le vit mal, mais ne sait probablement pas que sa fille est une révoltée appartenant à un groupuscule révolutionnaire, là-bas en Turquie. Lors d’une manifestation, poursuivie par la police locale, Ayten trouve refuge sur un toit grâce à la générosité d’une inconnue. Ayten est récupérée par ses amis qui vont s’arranger pour qu’elle puisse refaire sa vie en Allemagne sous une autre identité.

En Allemagne, nous avons également Charlotte (dite Lotte) qui est étudiante en langues. Elle suit les cours d’Ali Aksu à Brême. Charlotte vit encore chez sa mère Susanne (Hannah Schygulla).

Fatih Akin est d’origine turque, mais il vit en Allemagne et son film se passe entre l’Allemagne et la Turquie. Au spectateur de choisir quel est l’autre côté. Le film a obtenu le prix du scénario au festival de Cannes (2007), ce qui est amplement mérité, tant Fatih Akin s’entend à tisser des liens inattendus et à faire sentir les conséquences, parfois tragiques, des actes des uns et des autres.

Les expatriés Turcs en Allemagne gardent une trace de leur culture d’origine et ils n’oublient pas leurs racines. Quant aux Allemands, ils ne savent pas toujours comment se situer par rapport à ces expatriés dont ils connaissent mal la culture. Ceci dit, Fatih Akin ne cherche pas à les charger, puisque l’homme qui cherche à acheter les services exclusifs d’une prostituée pour son service personnel, c’est bien Nejat qui est d’origine turque. Et c’est bien à une femme d’origine turque qu’il s’adresse. Cela pourrait être une indication des relations hommes/femmes dans les esprits turcs, mais c’est surtout révélateur de la situation financière de l’un et de l’autre.

Les trajectoires des différents personnages vont se rapprocher. Le spectateur a le cœur serré en observant ceux qui se croisent sans se voir. Les destins tragiques, Fatih Akin se permet de les annoncer par un intertitre au début de chacune des deux premières parties. Même sachant qui va mourir (et même en revoyant le film), on ne peut s’empêcher de sursauter. En effet, les morts surviennent brusquement, parce que les personnages vont au bout de ce qu’ils ont en tête. Après, le spectateur se dit qu’il aurait suffi d’un peu de méfiance, mais c’est trop tard. Ensuite, il y a les conséquences pour les proches qui vont devoir assumer leurs propres choix et supporter l’absence.

Fatih Akin maîtrise son scénario complexe, rendant personnages et atmosphères tout-à-fait crédibles. Dès l’introduction qui se passe en Turquie, le spectateur est pris dans l’ambiance. La scène qui semble anodine prendra plus de dimension quand on la reverra avant la troisième et dernière partie (reprenant le titre du film). Entretemps, le réalisateur aura promené son spectateur entre l’Allemagne et la Turquie. Attention cependant, même si on sent qu’il aime à nous faire sentir l’atmosphère, les sons (musique rarement envahissante mais aux très belles sonorités) et la lumière de la Turquie où son cœur conserve des attaches, Fatih Akin n’invite pas à un voyage touristique. D’ailleurs, les scènes d’aéroport qui montrent des cercueils sur tapis roulant pour embarquer et débarquer d’un avion sont émouvantes parce que dépourvues de la moindre humanité apparente.

L’humanisme, ce film le respire. Il en est le sujet d’une conversation qu’a Ali dans ses recherches en Turquie. Il affiche une volonté d’éducation et de progrès qui fait sourire son interlocuteur un peu désabusé. Impression bizarre pour le spectateur qui sait que le discours d’Ali, bien que sincère, n’est qu’une façade. Et si le propos de Fatih Akin était que la diversité, l’intégration, la cohabitation des diverses communautés sont de beaux objectifs, mais qu’il faudrait qu’on y travaille pour de bon, plutôt que de se contenter de beaux discours ? La fin irait bien dans ce sens.

Si les interprètes collent parfaitement au discours de Fatih Akin, la seule « vedette » étant Hannah Schygulla, le seul reproche qu’on peut faire au film est sur des détails. Ainsi, la rencontre entre Ayten et Lotte est artificielle. Et puis, la librairie allemande qu’Ali trouve à Istanbul, c’est trop beau pour être vrai. Qu’importe, le film est une sacrée réussite. Souvent plutôt lent, pour que le spectateur s’imprègne bien des situations des uns et des autres. Ce qui n’empêche pas Fatih Akin de se montrer très à l’aise dans les scènes d’action, de poursuites notamment.
Electron
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le 3 sept. 2013

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