Ali,boxeur belge dans la dèche,quitte son plat pays en emmenant son fils de cinq ans pour aller vivre chez sa soeur à Antibes,où il va avoir une relation amoureuse compliquée avec Stéphanie,ex dresseuse d'orques à Marineland amputée des deux jambes suite à un accident de travail.Jacques Audiard,réalisateur du truc et coscénariste avec Thomas Bidegain,s'inspire ici d'un recueil de nouvelles de Craig Davidson.Adaptation très libre car le film mélange plusieurs nouvelles du livre et en modifie beaucoup d'éléments,notamment en faisant du dresseur du bouquin une femme.Fidèle à son style,Audiard rentre résolument dans son histoire,allant jusqu'à l'os sans se préoccuper de la rouille,qui comme chacun sait est la sauce de la bouillabaisse.Il explore en profondeur un quart-monde désolant,la caméra pénétrant en force dans la vie et le décor de personnages fracassés par le destin.Les protagonistes ne sont pas aimables chez Audiard,jamais.Ils n'ont guère de raisons de l'être non plus,et l'oeuvre ne présente que smicards,chômeurs,handicapés,piliers de discothèques,free fighters,magouilleurs divers,tous en mode survie et accros à la débrouille improvisée.L'honnêteté n'est qu'une option facultative,et personne ne voit plus loin que le lendemain.Le cinéaste entretient une tension inquiétante en filmant serré,parfois décadré, et en brouillant souvent l'image,refusant délibérément l'esthétique touristique ensoleillée traditionnellement attachée aux tournages dans cette région.Là,la Côte d'Azur parait plus cauchemardesque que paradisiaque,collant en cela aux sombres états d'âmes des personnages de paumés que nous suivons.La mise en scène est si solide qu'elle se passe facilement de dialogues,Audiard captant à merveille les regards,les gestes et les attitudes.Ali est clairement le moteur du film et le prolongement de la caméra,symbolisant l'ambiance générale.Ce type taiseux et fruste s'exprime principalement par le biais d'une violence qu'il canalise plus ou moins en pratiquant les sports de combat.Et quand il parle,c'est avec une franchise brutale si naturelle qu'elle s'apparente à de la naïveté touchante.Mais dans l'ensemble le mec ne cause pas tellement et préfère agir sans se poser de question,uniquement absorbé par sa survie et celle de son fils,et le plaisir qu'il prend au passage quand l'occasion lui en est donnée,car c'est un beau garçon fort séduisant.Ce qui ne signifie pas que,pas plus que les autres,il soit inaccessible aux sentiments.Seulement,tous ces gens marqués par l'existence se sont forgé des carapaces qu'ils répugnent à ouvrir.Le film,au-delà du noir bilan social,brasse de nombreux thèmes.Le handicap bien sûr,à travers le chemin de croix de Stéphanie.Comment l'accepter?Comment le surmonter?Comment vivre encore en étant diminué,en étant devenu quelqu'un d'autre,en étant passé de l'autre côté de la vie?L'amour aussi,tellement difficile à exprimer quand on est habitué à le refouler,quand on croit qu'on n'y aura plus droit.Ca parle aussi de passion,ce moteur qui permet de vivre et d'avancer.Lorsque Stéphanie revient au parc d'attractions,on voit malgré l'horrible traumatisme qu'elle y a subi le bonheur que ça lui procure.Elle retrouve le bassin,ses amis et collègues,les orques,elle ressuscite.Tout comme Ali existe pleinement quand il combat,et même quand il est spectateur de castagne.L'adrénaline l'envahit,il est à fond,il laisse sortir sa sauvagerie intrinsèque,et même Stéphanie est gagnée par l'excitation dans ces moments-là.Il est question aussi des limites.Jusqu'où doit-on se mettre en danger physiquement?Jusqu'où peut-on enfreindre les règles pour de l'argent?Au bout de la noirceur de la route,il y aura néanmoins,comme toujours chez Audiard,l'espoir et la rédemption.D'ailleurs,la dernière partie du film perd en tension à partir du moment où Ali part d'Antibes,et le gamin est salement agaçant.Les acteurs sont au top,avec une Marion Cotillard belle et émouvante,qui exprime tout le courage et la dignité d'une femme détruite en reconstruction et prouve que,bien dirigée,elle peut faire de grandes choses.Matthias Schoenaerts est comme à l'accoutumée fantastique.Rares sont les acteurs capables de combiner une telle puissance physique et un jeu aussi précis.Les seconds rôles,dont beaucoup sont inconnus,ont été parfaitement choisis parmi d'authentiques gueules de prolos,comme celles de Corinne Masiero et Bouli Lanners.Mention spéciale aux effets spéciaux,car Audiard ne se gêne pas pour montrer sans précaution aucune les moignons de Stéphanie,qui sont d'un réalisme saisissant.

pierrick_D_
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le 4 juin 2019

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