Quand débute le tournage de Dédée d’Anvers, le 8 octobre 1947, Simone Signoret vit une relation depuis trois ans avec son réalisateur Yves Allégret, divorcé et père d’un petit garçon. Il lui offre stabilité, Il a quinze ans de plus qu’elle, la maturité qui a manqué à Daniel Gélin, trop jeune et immature, et l’aide à lancer sa carrière. Allégret est fasciné par la personnalité et le talent de la jeune femme. Ils se marieront l’année suivante.
Elle n’a jusqu’alors connu que de petits emplois et depuis 5 ans qu’elle travaille, elle a surtout son apparition dans « Les visiteurs du soir » à son palmarès.
Le scénario de « Dédée d’Anvers », adapté d'un roman de Henri La Barthe (auteur de Pépé le Moko), ne brille pas par son originalité : une jeune française de Toulon se retrouve dans un bar à marins de la ville où elle vend son corps pour gagner sa vie. Elle y rencontre Jane Marken qui sera sa « maman » l’année suivante dans « Manèges » et Bernard Blier qui ne sera plus tenancier au grand cœur du Big Moon mais son mari. Dans les deux métrages ce dernier sera amoureux de la jeune femme. Le scénario raconte une histoire d’amour et de vengeance dans ce contexte d’après-guerre. Le bourgmestre d’Anvers refusera d’accorder les autorisations pour tourner jugeant que la mauvaise image véhiculée par le film nuisible à la réputation de la ville. En effet, l’atmosphère sombre et violente est au cœur de ce film.
Le film s’ouvre sur une jeune femme en train de marcher tout en grignotant et observant les bateaux. Le plan suivant on la voit se faire aborder par deux marins qui la saluent et en viennent à discuter du « prix » de la nice girl. Le ton est donné elle est « expensive » et très demandée par sa clientèle. Ce pour le plus grand bonheur de son minable souteneur d'une lâcheté qui n'a d'égal que sa violence envers celle qu'il "protège".
Le film, de par sa noirceur, est accueilli fort diversement et sa sélection au festival de Venise fortement critiquée. Mais même les critiques les plus virulents s’accordent sur une chose : Simone Signoret et son talent !
« Cette jeune artiste a enfin trouvé avec Dédée d’Anvers, le rôle qu’elle attendait et qui la classe d’emblée parmi os grandes comédiennes. L’intensité et la sobriété de son jeu étonnent chez cette presque débutante. Aussi, si Simone Signoret ne galvaude pas son indéniable et immense talent, elle ira très loin. »
Claude Hervin Paris Presse 7 septembre 1948
La presse montre une jeune femme indépendante, séduisante, en avance sur son temps, capable de s’affirmer dans un monde d’homme et leur en imposer par son talent, sa distinction et son intelligence.
Là se tient l’originalité du film d’Allégret. Une prostituée qui sait faire autre chose que se déhancher, ne se contente pas de porter des bas noirs et des tenues provocantes, ce n’est pas monnaie courante. Grâce à ce plus qu’elle donne au spectateur, elle se verra offrir de nombreux autres rôles de prostituée. Cela est particulièrement bien mis en images lors de la bagarre de rue. La manière de filmer les corps des hommes qui se confondent « J’aime regarder les hommes se battre dit-elle à son voisin de spectacle, ils ne se font jamais assez de mal ». Son regard, son attitude montre l’enfermement subi de par son statut de femme, l’envie de liberté inaccessible aux personnes de son sexe qui subissent irrémédiablement les diktats des hommes qui l’entourent.
Dès lors, elle se rend compte qu’elle risque d’être cataloguée et cherche à changer de registre.

Sa carrière brillera de rôles divers, magistralement interprétés, mais celui de Dédée restera celui du début, le rôle déclencheur qui encore aujourd'hui est évoqué parmi les plus marquants de la légende Signoret.
Rawi
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le 4 janv. 2015

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Rawi

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