Ce film offre une belle occasion de décrire les forces qui guident l'humain vers la cohérence. Autrement dit, c'est, je pense, une illustration excellente de la théorie de la dissonance cognitive de Festinger.
Spoilers.
Ici les comportements de chaque protagoniste tendent profondément vers la cohérence.
Nos quatre compères partent renouer avec la nature, avec une sorte de bestialité enfouie qu'ils cherchent à explorer.
Lorsqu'ils découvrent cette nature, dans toute sa violence, qu'elle s'exprime en eux ou en face d'eux, un choix s'offre à eux : embrasser la nature ou la rejeter.
Embarqués dans leur aventure, portés par leur élan inconscient vers la cohérence, trois d'entre eux se plient à la loi du talion et en oublient la civilisation. L'un d'eux, cependant, hésite. Deux ont déjà décidé d'enterrer le corps. C'est sur lui que repose la décision finale. Victime d'ambivalence, il est emporté par la majorité, vote comme ses compères, rétablit un minimum de cohérence dans le groupe. Le quatrième ne perçoit pas les choses ainsi. Indépendant à l'égard du champ, père de famille respecté, il oriente ses comportements en cohérence avec les valeurs civiles, la démocratie. Malgré lui, la démocratie a voté : ils enterreront le corps. Incapable de supporter l'état de dissonance et la souffrance qu'elle lui cause, il se sépare du groupe à son origine. C'est discutable mais cette action peut aussi être vue comme un suicide, une rupture radicale avec sa souffrance, une expiation de sa désobéissance, un retour à la cohérence.
C'est une leçon. Si vous faites d'un membre de votre groupe un élément de dissonance, attendez-vous à ce qu'il dysfonctionne et ne réponde pas convenablement aux règles du groupe.


Ayant ainsi décidé d'embrasser leur bestialité, nos compères à l'effectif diminué y plongent plus profondément, lentement mais sûrement. Leurs perceptions et leurs comportements s'accordent. Ils se font proie et chasseurs. Ils interprètent et agissent sur la réalité en cohérence avec leur décision précédente, d'autant plus que l'élément dissonant n'est plus. C'est insensé, mais comme par habitude, habités de nouvelles règles justifiant leurs comportements précédents, ils font couler leur ami, symbole de la civilisation, du respect de la loi, avec une pierre, comme s'ils voulaient effacer ces valeurs de leur champs perceptif pour mieux s'en défaire.


Mais cette bestialité ne durera pas toujours, la rivière devra se jeter dans l'océan et il est impossible d'y nager à contre-courant.
L'entre-deux avant le retour à la réalité est d'abord doux et inattendu tant ils s'étaient conformés à la nature. Pansements, mercurochrome, eau chaude ne sont pas monnaie courante dans la vallée.
La vie courante, par contre, son inter-dépendance, la confiance que chacun porte aux autres, sont en opposition avec la violence des actes que les compères ont commis. Ils ont renié la civilisation et leur retour y est amer. Le recouvrement par les eaux de la vallée devient pour eux le reflet douloureux de l'enterrement de cette nouvelle partie de leur identité.


Je suis sorti de ce film satisfait, mon propre besoin de cohérence rempli.


Ce n'est pas une analyse exhaustive et il y a sans doute bien d'autres axes de lecture à ce film fascinant, mais voici en tous cas ma pierre à l'édifice.

AfroGod
8
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le 10 avr. 2020

Critique lue 94 fois

AfroGod

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