Delta
6.5
Delta

Film de Kornél Mundruczó (2009)

Il n'est jamais trop Tarr pour bien faire

Le plan-séquence et le noir et blanc mis à part, tous les éléments de la sauce [je l'ose ? Allez.] Tarr-Tarr sont là. Mais force est de constater que si fort Mundruczó se mette à battre, le mélange a peine à prendre.

- Une attention toute particulière aux animaux. Cochons, vaches, et même, avis aux cheloniophiles, une petite tortue. C'est assez caractéristique du problème : de bonnes intentions, mais qui restent voilées par les réussites du maître hongrois. Il est évident que Mundruczó creuse l'animalité dans une toute autre direction (que celle du refus d'un cinéma anthropocentrique), mais il ne parvient pas à convaincre, le cul entre deux székek, comme on dit en hongrois.
- Une attention toute particulière aux éléments. Un film aquatique ici, à 100%. Ma foi, rien à redire de ce côté-ci, le traitement de l'eau est assez fort, assez présent, intelligent même parfois.
- Une scène de viol (mais si, rappelez-vous, dans « Le nid familial », ou « rapports préfabriqués », je ne sais plus). Alors là le traitement est aux antipodes, personnellement j'ai trouvé ça bien pensé, ce plan très large, l'air de nous signifier que quoi qu'on en pense, nous ne le vivons pas. Une façon très subtile de repousser la tentative d'identification naturelle, de créer un écart entre le spectateur et son personnage. Chapeau.
- Un bar, bien entendu ! Avec sa ribambelle d'ivrognes. Comment ne pas penser à la scène de Sátántangó durant laquelle on « marche, et marche, et marche » (demandez-donc à Flagblues), lorsqu'il y a cet ivrogne qui demande, encore et encore, son verre supplémentaire qu'il ne peut pas payer. On y danse même, c'est dire. Sauf que voilà, là c'est extrêmement en dessous de ce à quoi BT nous a habitué, effrayant et faux comme un clin d’œil-de-verre.
- Et voici un nouveau point sur lequel le hongrois du noir et blanc a fait école : la musique. Musicalement, ça pue le pastiche mauvaise qualité de ce pauvre Víg qui n'a certainement jamais demandé cela, et aurait mieux fait de surveiller prudemment ses arrières, évitant ainsi de se prendre de grands coups d'archet peu judicieusement placés.
- L'acteur principal, ainsi que trop de seconds rôles (l'autre mâle en tête) me paraît être une personnification des reproches imputables à la musique. Il est extrêmement fade, il a un petit Valuska, mais avec une coupe un peu hipster/jeune-trentenaire-branchouille que je trouve particulièrement détestable, et qui sied au plus mal au propos, celui d'un village complètement paumé dans le delta du Danube.
- Question propos, ici aussi on retrouve du BT, bien que le sujet soit plus universel : des êtres qui s'interdisent le bonheur, s'entre-déchirent sans le comprendre. Seulement, et là Batman (celui du site) l'a souligné avant moi, « On peut regretter que les villageois soient vraiment perçus comme des monstres cherchant à tout prix de détruire le bonheur que ces deux personnes tentent de créer ». Oui, on le regrette, ça manque un peu de crédibilité cette affaire. Dommage, car c'est le pilier fondamental de l'intrigue, bien ténue par ailleurs.
- Ténue, donc on un rythme de tarré, avis aux amateurs, et détracteurs s'abstenir. Ici, le temps passe comme l'eau du Danube dans cette gigantesque plaine aquatique. Oui, « encore un film d'auteur de l'Est », dirons haineusement les plus mauvais.


Peut-être faudrait-il que ce bon Kornél qui n'est pas sans potentiel envisage de faire son propre film, sorte des traces de son mentor et arrête de marcher dans son ombre (dans l'ombre de Béla Tarr, vous imaginez ?), et nous dise ce qu'il a à nous dire, non ce qu'il aurait aimé que Béla Tarr nous montre.

Mais terminons sur une note positive : le film fourmille d'idées parfois très bonnes côté réalisation, les cadrages sont très inventifs (clin d’œil à Zviaguinstev dans « Le Retour », le plan-Mandegna), un réel travail sur les lumières (on sent le réal qui a attendu 19h43 et 20 secondes pour avoir la parfaite lumière pour tourner sa séquence sur l'eau), un film qui en veut, de l'art, pas de l'argent, et ça aujourd'hui, c'est toujours trop rare.
Alors, je t'attends pour ton prochain film, ou pour ton précédent, lorsqu'il me tombera sous la main.
Adobtard
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le 15 nov. 2013

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