Davis est un fantôme. Rien d'ectoplasmique, juste une personne, de ces nombreuses qui errent dans la vie comme on ère dans une tragédie de Racine. Banquier d'affaire, il manipule chaque jour et dès 5h30 du matin des chiffres dont vous n'oseriez même pas rêver. Rien de palpable, juste un murmure, écho des gesticulations mortifères d'un poumon à l'agonie, celui de New-York et d'une civilisation perdue dans les méandres du numérique. Il vit dans une maison des plus moderne et à côté d'une merveilleuse femme, attentionnée et amoureuse. Pourtant il n'écoute guère, embourbé dans ses habitudes, ses chiffres et sa propre passivité. Jusqu'au jour où elle décède brutalement suite à un accident.


Jean-Marc Vallée s'empare d'une histoire ordinaire, celle du deuil et la transcende par son dualisme entre jusqu'au boutisme et pudeur. Il fait le choix bienvenu d'ancrer la remontée non pas dans une romance (que l'on aurait pu craindre) mais dans une relation « père »-fils déséquilibrée mais sincère.


Arborant les trauma-pshychiques de la perte d'un être cher, Jean-Marc Vallée laisse à son personnage (Jake Gyllenhaal toujours aussi juste) le temps de se déconstruire. Le déni, le mutisme, le changement, le chamboulement, la colère, la douleur, l'aveu et l'apaisement. Chaque étapes à droit à un véritable traitement, tantôt loufoque (Dear Champion Vending Company...), tantôt fantasque (déconstruction minutieuse des objets du quotidien), parfois touchant (sa relation avec Naomi Watts) ou émouvant (sa femme incarnée par une Heather Lind lumineuse).


Par la magie du septième art, la colère qui gronde en chacun de nous prend ici forme, la déconstruction psychique fait place à la démolition physique. Qui n'a pas rêvé d'exploser littéralement sa vie, ses biens et par delà les carcans de la société dans un élan de liberté salvatrice ?


Les stéréotypes ne servent qu'à souligner les évolutions du héros et l'absurdité du monde qui l'entoure, entre matérialisme et mercantilisme. Même si JMV n'échappe pas quelque fois, dans son désir d'interpeller le spectateur, à certaines facilités (le lynchage sous couvert d'homophobie tombe dans le pataud alors même que la question avait été amenée avec subtilité au détour d'un échange savoureux). L’esthétisme général du métrage est fluide et maîtrisée et la confusion peut rapidement s'installer tant il se lie avec le travail d'un certain Denis Villeneuve et son cheminement avec J. Gyllenhall. Quelques idées simples font mouche (notamment le reverse-motion) et la musique folk-indie ou l'emploi d'un certain chant de bohème (Charles Aznavour) renforce l'évasion qui nous est proposée.


Jean-Marc Vallée, malgré des imperfections, montre une nouvelle fois qu'il est capable de peindre une société désabusée avec optimisme et ce, sans tomber dans l'outrance. S'emparant de sujets durs, il évite à de nombreuses reprises les banalités et parvient à nous toucher, avec un brin de poésie et d'insouciance dans une balade existentielle ou le futur s'écrit à l'encre des pages déchirées.


Jake Gyllenhaal quand à lui, continue à parfaire son statut d'acteur indispensable, à tel point que son nom au générique devient synonyme d'espérance cinéphile.


"Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme."

Créée

le 11 avr. 2016

Critique lue 1K fois

18 j'aime

Westmat

Écrit par

Critique lue 1K fois

18

D'autres avis sur Demolition

Demolition
Velvetman
7

Crash

Durant un accident de voiture, sa femme décède et lui survit. Alors que Davis devrait pleurer sa tristesse et être submergé d’un chagrin insurmontable, il ne ressent rien, continue son train-train...

le 14 avr. 2016

74 j'aime

2

Demolition
FuckCinephiles
7

Critique de Demolition par FuckCinephiles

Est-ce que Jake Gyllenhaal - de loin l'un des meilleurs acteurs de sa génération - chercherait-il à démontrer à Hollywood la putain qu'il est un de ses talents les plus indispensables de ces dix...

le 31 mars 2016

52 j'aime

Demolition
Fatpooper
5

Ma femme me quitte

Un peu partagé devant ce film. Il est difficile de parler du deuil, souvent on tombe dans le pathos ou dans le combat qu'on ne peut suivre que passivement à l'instar d'un "The descendant". Il y a de...

le 4 juil. 2016

20 j'aime

4

Du même critique

Barry Lyndon
Westmat
10

Duels déraisonnables

Tout commence par un duel... La colline à des yeux, omniscients. Elle observe paisiblement les hommes se quereller dans la brume du crépuscule. Un claquement sec déchire le silence, un homme passe de...

le 25 mars 2016

32 j'aime

5

La Poursuite impitoyable
Westmat
8

La chasse, la chute et le trépas

"The Chase" commence comme tout film d'évasion, deux hommes courent sur les routes et forêts du sud Etas-Unien. L'un semble plus à même de constituer notre centre d'empathie, et c'est donc le...

le 23 mars 2016

30 j'aime

11

La Passion Van Gogh
Westmat
8

L’art transitoire

[Texte également lisible sur le Webzine Benzinemag] Il est de ces projets qui fascinent, que l’on repère à sa genèse, attiré par une curiosité sans borne. La rencontre entre le 3e art et le 7e est...

le 9 oct. 2017

29 j'aime

9