Le réalisateur Till Kleinert, présent à la projection à laquelle j’ai assisté, a expliqué qu’il s’était inspiré des contes d’Hoffman pour son film. Cela ne m’a pas vraiment étonné. Der Samuraï ressemble en effet beaucoup à un conte même s’il n’en emprunte pas la forme. Disons-le tout de suite : il est difficile de ne pas voir dans ce film une longue parabole sur l’homosexualité. Mais comme il s’agit d’un conte – un conte horrifique en l’occurrence – nous restons dans le domaine de la métaphore et on ne trouve ni la vulgarité complaisante ni le moralisme militant qui sont trop souvent le lot des films gay friendly. Il s’agit là de tout autre chose.

Dans un village de l’Allemagne rurale, Jakob, un jeune policier, vit seul avec sa grand-mère, à qui il tient compagnie le soir et avec qui il joue aux cartes. Il s’est mis en tête de nourrir un loup, à qui il apporte régulièrement de la viande dans la forêt dans l’espoir que cela le convaincra de ne pas trop approcher du village. Un jour, il reçoit un paquet qui lui est adressé mais qu’il doit remettre à un tiers, qu’il ne connaît pas et qu’il finit par retrouver suite à un coup de téléphone anonyme. Le paquet contient un sabre et l’inconnu est un personnage étrange, un homme aux longs cheveux blonds travesti sommairement en femme, vêtu d’une robe d’été blanche. Jakob devra dès lors à la fois combattre et percer à jour cet homme, dans un rapport fait de répulsion et d’attirance, pour l’empêcher de semer la terreur parmi les villageois.

L’assassin semble symboliser une transgression protéiforme : il est à la fois l’homme sauvage qui cavale dans les bois comme un animal et qui rappelle le mythe du loup-garou (il ne se transforme pas mais semble être une sorte d’avatar humain du loup qui rôde autour du village), l’homme qui refuse les normes du genre et se travestit en femme (le cadre rural du récit renforce évidemment le caractère transgressif de cette inversion) et l’élément perturbateur, anarchique, inquiétant dans son étrangeté, qui sème le désordre et finalement la mort. L’acteur qui l’incarne, Pit Bukovsky, a des airs de Klaus Kinski avec ce rictus tordu qui transparait derrière les mèches de cheveux, souligné par un rouge à lèvres grossièrement appliqué. Il évolue dans les rues désertes du village, souvent filmé de dos, la nuque toujours un peu courbée, dans cette lumière orange (celle de l’éclairage électrique) qui inonde la plupart des scènes du film. Sa sauvagerie commence par prendre des formes anecdotiques, comme dans cette scène où Jakob s’avance dans un quartier résidentiel et découvre les traces du passage de son adversaire : des haies saccagées, des branchages enfoncés dans l’ouverture des boîtes aux lettres, des tuyaux d’arrosage tordus et orientés sur le linge qui pend. Mais de la déprédation on passe à la pyromanie et de la pyromanie au meurtre. Ce personnage barbare, que Jakob poursuit à travers la forêt et qui lui demande – un peu comme le renard au Petit Prince – de prendre le temps de l’apprivoiser, n’est peut-être finalement que le refoulé du jeune policier, sa part animale et inavouée. Je ne suis pas féru des lectures trop psychanalytiques dans le décryptage des films mais elle semble ici s’imposer.
David_L_Epée
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le 24 nov. 2014

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David_L_Epée

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