S’il est un élément qu’il faille saluer dans Dernier Train pour Busan, ce n’est sans doute pas son originalité. Au contraire, c’est par son utilisation adroite de figures qu’on aurait pu penser épuisées, son exécution exemplaire de clichés qu’on aurait pu croire éculés que le premier live-action de Yeon Sang-ho tire son épingle du jeu. Parvenant à insuffler une fraîcheur nouvelle au film de zombie, sans pourtant le dénaturer le moins du monde, le film rend toute sa vigueur à un archétype mourant : n’est-ce pas là le comble pour un film de zombies ?


What is dead…
(Petit avant-propos sans rapport direct avec le film)


J’ai, d’un point de vue personnel, assez peu d’intérêt pour la figure du zombie telle quelle. Certes, elle a été revisitée à de nombreuses sauces, plus ou moins heureuses (on notera la touchante et séduisante version « animal de compagnie » dans le Miss Zombie de Sabu, ou la divertissante et toute cauchemardesque pour moi version « maternelle » de Cooties). Cependant, servie nature (comprendre : dramatique, au centre de l’intrigue, sans être mélangée à d’autres figures), la recette semble avoir épuisé son potentiel depuis plus d’une décennie, et hormis Danny Boyle et son redoutable 28 jours plus tard, rares sont les films de zombies de ce début de siècle qui ont su s’ériger au rang de plat de résistance (je parle bien de films : je vous vois trépigner au fond, les fans de The Walking Dead…).


Si l’on nous jette ici ou là de savoureux amuse-gueules tels que Shaun of the Dead, Bienvenue à Zombieland ou encore Dellamorte Dellamore, on voit bien que c’est le caractère comique de cette créature peu habile et dépourvue d’intelligence qui représente son principal argument de vente à ce jour, et ce n’est pas le (apparemment – j’ai bizarrement foi en mes éclaireurs) douloureux World War Z qui renversera la tendance. Pour lutter et conserver son potentiel horrifique, le zombie a souvent dû s’accoupler en progénitures plus ou moins étranges, empruntant souvent à son compère autrement moins démodé le vampire, qu’il s’agisse d’un abâtardissement total (Shiki), ou juste de quelques caractéristiques transmises au hasard de la génétique scénaristique (Je suis une légende).


C’est que le zombie fait bien pâle figure (sans mauvais jeu de mot… mais en fait si) face à son concurrent suceur de sang, créature infiniment plus complexe, sensuelle et intelligente, ouvrant à une multiplicité d’interprétations allant d’Edward, le vampire végétarien et civilisé dans… Daybreakers (toi là-bas, j’ai vu cette référence funeste traverser ton esprit…) aux monstres dépourvus de langage de The Priest, tenant plus du chien que de l’homme. Pourvoyeur tant d’horreur que d’érotisme, entre séduction et férocité, manipulation et carnalité, le vampire navigue en eaux troubles là où le zombie ne se distingue guère que par son degré de décomposition : sa personnalité sera toujours située quelque part entre l’huître et le parpaing, et son charisme à peu près équivalent à celui de Donald Trump.


C’est pourtant qu’il reste au zombie un royaume privilégié, et il réside précisément dans son aspect indistinct. Si le retour – légèrement modifié – d’un être cher désincarné sera souvent un argument scénaristique larmoyant, il demeure anecdotique, plus obstacle supplémentaire à dépasser pour le héros que véritable enjeu. Non, ce qui frappe chez le zombie, c’est son côté méchamment grégaire. Un zombie tout seul, c’est un peu inquiétant, mais on l’enferme dans la cave et c’est réglé. Le véritable monstre, c’est la horde. Ondulante. Grouillante. Pareille à une fourmilière sur laquelle on mettrait le pied bien malencontreusement. Le potentiel destructeur du zombie ne se mesure ainsi guère qu’à la vitesse de propagation du mal qui l’a transformé, et à son inlassable campagne de recrutement plus agressive que Jérémy qui veut te faire découvrir comment gagner 7 000€ par mois sans bouger de chez toi.


En partant de là, on comprend bien la vanité de vouloir conférer plus de profondeur à la figure du zombie, à moins de vouloir radicalement en détourner l’usage premier (j’en reviens à Sabu et son Miss Zombie). Je parle bien d’usage, car le zombie est bel et bien un outil scénaristique plus qu’un personnage. Sorte de MacGuffin inversé, il est ce que le héros doit fuir sans forcément en expliciter l’origine ni les enjeux. Loin de moi l’idée de condamner toute tentative d’investir le zombie de nouvelles fonctions : seulement, on s’écarte alors du caractère viscéral (sans mauvais jeu de mot… mais en fait si) de la créature, qui devient autre chose. Le zombie est fait pour être une marée (humaine) montante. Si possible un tsunami.


… may never die.
(Où on parle – enfin ! – du film)


Cependant, cessons là de tergiverser et attaquons-nous pour de bon à ce Dernier Train pour Busan.


Quelques secondes suffisent à se sentir plongé en territoire coréen. Des plans habilement composés, proportionnés ; un éclairage un peu jaunâtre, presque rouille, qui appelle sans que l’on sache précisément pourquoi des relents de The Chaser ou de J’ai rencontré le diable. Aussitôt, on pressent le film un demi-ton plus sombre, un demi-ton moins commercial que s’il avait été une production hollywoodienne. Cela ne se vérifiera pas vraiment au fil de l’œuvre, mais cela suffit à aborder les deux heures qui s’ensuivent avec confiance et curiosité, en posant des prémices inquiétantes.


Du côté des personnages, on retrouvera le cocktail habituel, tout droit sortis du chapeau des clichés. Avec, dans le rôle-titre, tenez-vous bien : le père divorcé, asservi à son travail, et sa gamine délaissée vis-à-vis de laquelle il pense compenser le manque d’affection par le prix de cadeaux sans personnalité. Woaw. J’avoue que celle-là, on ne me l’avait pas faite depuis Au-delà des Montagnes – mais je ne regarde pas assez de films de genre, ça doit être pour ça. Voyons le bon côté des choses, on aurait pu avoir le père looser qui fait de son mieux mais à qui ses gamins semblent préférer un beau-père qui a beaucoup mieux réussi dans la vie et qui, lui, procure les fameux cadeaux hors de prix – façon La Guerre des Mondes ou 2012, m’voyez (oui j’ai de la pure référence, ça impose le respect ok ?).


Pour ce qui est des autres personnages, ce n’est guère mieux, et nous avons, en vrac : la femme enceinte et son mari ; le clochard annonciateur de l’apocalypse ; l’équipe de sportifs tout juste pubère ; la petite vieille (vous en aurez même deux pour le prix d’une) ; le gros connard homme d’affaire qui te fait haïr l’espèce humaine et fait passer la Mme Carmody de The Mist pour un Bisounours. C-c-c-combo ! Le jeu des acteurs n’est d’ailleurs pas particulièrement marquant, ce dont on ne leur tiendra pas rigueur puisque le temps consacré à l’approfondissement des personnages est d’environ trois millisecondes par tête. Cela étant établi, une question essentielle s’impose : et alors ? Il y a, après tout, une forme d’honnêteté dans cette composition : personne n’a acheté son ticket pour voir un drame auteuriste sur la déliquescence de la société coréenne moderne. Autant élaguer, s’épargner les atermoiements et rentrer directement dans le vif du sujet : ce que l’on demande au film c’est une action bien menée et une tension palpable, promesses qu’il remplit largement.


L’action, parlons-en. Elle est servie par une mise en scène efficace, sublimée dans une poignée de tableaux mémorables. Yeon Sang-ho nous a ainsi concocté quelques plans particulièrement réussis, notamment l’amorce d’un combat en traveling horizontal dans lequel on brûle de voir la relève du plan légendaire d’Old Boy mais qui sera hélas très vite interrompu et dont on regrettera qu’il n’ait pas été plus ambitieux. S’y ajoutent quelques éclats en slow motion qui arrivent comme des cheveux sur la soupe mais qui n’en font pas moins leur effet et, surtout, de grandioses mouvements de foule. Enfin, on la sent, la horde. La marée. Le tsunami. Ce charnier mouvant si densément furieux qu’on le croirait devenu liquide. Qui s’élève en vagues puissantes, qui déferle et cède sous sa propre pression. Les infectés unis en un seul fluide mortel.


Pour en venir au chapitre de la violence, le film parvient à être jouissif tout en demeurant modéré : les giclées de sang sont rares et peu abondantes, et peut-être en cela précisément conservent-elles toute leur intensité. Il ne faut donc pas s’attendre ici à un concert de wank sonores (Sympathy for Mr. Vengance <3) auxquels répondraient des shlass généreux (j’ignore si c’est mon vocabulaire qui s’amenuise ou mon cerveau gauche qui se libère, la fièvre sans doute). C’est que, du fond de leur train ensommeillé de 5h30 du matin, nos personnages manquent cruellement d’arbalètes et de tronçonneuses à disposition. Renvoyés aux moyens du bord (et bien heureux de compter parmi eux une équipe de baseball plutôt que de volley-ball…), ils naviguent loin des eaux pourpres du slasher. Par chance, les zombies qui leur font face ne sont point dotés d’une force ou d’une vélocité surhumaines, et certainement pas d’une intelligence décente, juste d’une volonté très… tenace.


Notons que malgré un ton ouvertement dramatique, le film n’hésite pas à embrasser pleinement le potentiel comique du zombie. Bien que l’humour agisse par petites pointes ponctuelles, il ne s’agit pas là d’implants artificiels, saupoudrés par le biais de dialogues ludiques ou d’effets bien synchronisés. Non, ici le comique est encastré dans la charpente même du film, et si certaines situations nous amèneront à rire des zombies, elles ne seront jamais gratuites mais pleinement intégrées en tant que leviers scénaristiques. Un comique de nature plus que de situation, qui révèlera faiblesses et opportunités, et qui fera d’autant plus ricaner qu’il semble créer une distance subite avec la chasse hargneuse et passionnée à laquelle nous assistions l’instant d’avant, et nous renvoyer ainsi, le temps d’un battement de cils, à notre posture de spectateur en quête de sang.


C’est que Dernier Train pour Busan n’a pas pour vocation de simplement gaver son spectateur d’images impressionnantes. Bien que parfois un peu grossier, le propos est présent. A la façon de The Host, le monstre est ici prétexte à dénoncer les manipulations d’un gouvernement impuissant et d’un organe de presse mensonger – partie qui est d’ailleurs plutôt intelligemment introduite. De même, l’idée de la culpabilité écrasante pour laquelle on ne cherche qu’un prétexte, même pas : un mot rassurant pour se dédouaner aussitôt. Là où le trait sera plus forcé en revanche, c’est sur ce personnage égoïste, le « gros connard homme d’affaire qui te fait haïr l’espèce humaine et fait passer la Mme Carmody de The Mist pour un Bisounours » précédemment cité. La question de l’égoïsme était déjà traitée avec d’assez gros sabots au travers du personnage principal, dont on se doute bien qu’il devra grandir et s’amender pour son comportement au fil de l’histoire. Mais, eh, après tout notre antagoniste réussit dans sa mission de nous faire éprouver des émotions violentes…


Enfin, que dire du cadre (majoritaire) de l’histoire ? Le train est un formidable espace d’huis-clos, d’autant plus convaincant que son exiguïté nous est – trop – familière. Il est également le prétexte à ce champ d’action en deux (et presque une) dimension, illustration ô combien fataliste de la pauvreté des options et de l’acculement des personnages, qui avait déjà acquis ses lettres de noblesse avec le retentissant Snowpiercer. Il y a un petit côté vidéoludique dans la progression des personnages en son sein, chaque wagon traversé correspondant à une nouvelle mission, parfois à une nouvelle énigme à résoudre. Alors que les niveaux augmentent progressivement avec les numéros de voitures, les plateformes fonctionnent comme autant de checkpoints… Pourtant, à quoi bon un checkpoint, quand on joue en mode hardcore avec wipe automatique de la sauvegarde en cas de défaite ?


Le train, cependant, n’est pas un lieu d’huis-clos comme les autres : parce qu’il se propulse furieusement en avant, il se fait explorateur maudit, éclaireur dont la charge funeste est de révéler l’ampleur du carnage. Le suspense qu’il déroule est celui de la frontière du havre promis, sans cesse reculée, peut-être déjà engloutie : Busan, à l’extrémité sud du pays, brille comme le phare de l’ultime espoir ; au-delà ne reste que la mer. C’est un cul-de-sac dans lequel le train se précipite à l’aveugle, n’ayant d’autre choix que cette progression linéaire, s’arrêter ou continuer vers plus de difficultés, à l’image des personnages qui se débattent dans ses entrailles. Busan, refuge ou lieu de tous les désespoirs ? Cet horizon vers lequel nous sommes tendus est, de toute manière, l’unique point de fuite dont nous disposions.


En somme, bien que ne transcendant pas le genre, Dernier Train Pour Busan le sert efficacement. Léché sans devenir maniéré, donnant la part large à l’action sans un instant verser dans le gore, il offre un divertissement des plus satisfaisants. On regrettera le manque d’originalité de son scénario et de ses personnages, mais ils seraient ingrédients superflus dans la recette que le film s’applique à suivre (je veux dire, ce serait comme mettre de la crème fraîche dans des pâtes à la carbonara… comment ça vous en ajoutez, saligauds !?). Point de distractions inutiles, si ce ne sont les petites formalités tire-larmes de loin en loin – mais rassurez-vous, les personnages ne sont pas assez attachants pour qu’elles soient sincèrement déchirantes : l’objectif est Busan, et à 300 km/h s’il-vous-plaît ! Au cours des 2h de rebondissements (signe qu’ils ont quand même perdu pas mal de temps en chemin, mais bien sûr la compagnie de chemin de fer va encore dire que ce n’est pas de sa faute pour ne pas rembourser les billets…), on aura ainsi plus ri que pleuré, plus haï qu’aimé, et on en aura tiré autant de satisfaction que d’inquiétude. Du blockbuster d’action, certes, mais malgré tout un tantinet plus intelligent que le zombie moyen. Admettez que ce n’était pas si difficile…


(Et puis à Busan, y’a le ferry pour Fukuoka, mon futur foyer. Comprenez bien que si les zombies réussissaient à infester Busan et à monter dans le ferry, ça m’emmerderait un petit peu quoi…)

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le 19 août 2016

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Lila Gaius

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