Ces dernières années, les zombies ont littéralement contaminé les différents médias (littérature, séries, jeux vidéo et cinéma). Une épidémie qui au-delà du manque de qualité flagrant que ça a pu produire, a surtout provoqué une lassitude, que dis-je un désintérêt pour tout ce qui met en scène des morts-vivants me concernant. Cependant, la réussite du récent The Strangers ainsi que la présence à Cannes de ce Dernier Train pour Busan ont été autant de motivations pour aller visionner ce film coréen grand public.


Car, et c'est peut-être là une des spécificités de ce film, a contrario de la majorité des œuvres qu'a pu enfanter la nouvelle vague coréenne, celui-ci est clairement destiné au plus grand nombre.
Mais chose plus remarquable encore, Dernier Train pour Busan est un film habilement pensé et réalisé, un film que je n'espérais plus. Une bouffée d'air frais pour un (sous) genre en déclin ne faisant que rarement preuve de fulgurance, généralement à coup de comédies plus ou moins réussies.


Yeon Sang-ho, dont c'est le premier film, nous livre pourtant une oeuvre au registre surexploité, au scénario usé, aux personnages recyclés mais tout en retenu, toujours conscient de ses limites scénaristiques comme techniques. En ce sens Dernier Train pour Busan est un film intelligemment conçu. Fait de clichés, il réussit là où trop de blockbuster échouent : savoir utiliser ses clichés.


Car en soi, le cliché n'est pas un mal. Fruit de personnages, d'histoires, d'enjeux vus et revus au fil du temps, il n'est jamais problématique à partir du moment où il est exploité de manière réfléchie. Certes un "blockbuster" d'action, ce film sait utiliser son matériel de base.
Ce matériel, c'est avant tout des personnages (fonctions), tous stéréotypés. Le père divorcé et distant avec sa petite fille promis à une rédemption dans l'apocalypse, le costaud au grand cœur avec son aimable et vulnérable femme enceinte, le jeune couple se rapprochant dans la survie, le méchant de service vil manipulateur des masses, etc.
Pour ce qui est de l'intrigue, là encore l'originalité n'est pas de mise. Alors que le fameux père décide d'accompagner sa fille en train, une épidémie éclate en Corée. Juste avant le départ, une jeune femme contaminée entre dans ledit train. La catastrophe éclatant dans le pays comme dans les wagons, nous allons suivre une petite dizaine de personnes tentant de survivre jusqu'à Busan, promesse d'un lieu qui serait encore en sécurité. Une énième histoire de survie en somme.


Malgré l'accumulation desdits clichés, Yeon Sang-ho qui est aussi scénariste accouche d'un film rafraîchissant et surtout réussi dans la quasi totalité de ce qu'il entreprend. En effet, contrairement à la machine hollywoodienne, le réalisateur a su faire preuve de deux qualités rares dans un film d'action grand public : de la modestie et de l'intelligence. De ce chaos qui nous est montré émane paradoxalement une sagesse dans la manière de penser le film.
Ainsi, force est de constater que cette retenue est ce qui fait l'une des forces du film. Cette retenue qui commence déjà par le choix de l'environnement: "l'intimité" d'un train. Véritable huis-clos, c'est d'autant plus intéressant qu'il est un lieu familier dans l'inconscient collectif. Dès lors notre réalisateur peut s'adonner à l'exploitation des moindres recoins : toilettes, portiques de sécurité, porte bagage, tout y est exploré. Les décors les plus insignifiants mais paradoxalement les plus parlants deviennent des enjeux de survie.
Cette retenue, elle est aussi dans l'exploitation des zombies. Les maquillages sont limités mais augmentent cet effet d'épidémie. L'animosité et la violence s'illustrent plus dans leurs mouvements inhumains que dans le gore qu'ils peuvent insuffler au film (gore étant un bien grand mot, là encore le film évite la surenchère inutile). Pour l'anecdote, c'est la première fois que je vois un film de zombie dans lequel aucun de ces derniers ne provoque ne serait-ce qu'un rire de la part des spectateurs.
Enfin cette retenue se retrouve dans la réalisation. Le huis-clos est intéressant pour des travelling du meilleur effet ou des scènes confinées qui transpirent le malaise ambiant. Mais il est également une vraie plus-value pour les rares plans en extérieur qui marqueront le spectateur de manière indélébile (course poursuite à la gare, paysages coréens chaotiques) sans pour autant sombrer dans la surenchère gratuite, donnant ainsi une certaine authenticité, un certain impact dans la catastrophe que nous voyons.
Puisque nous parlons de réalisation, je dirai un mot sur le premier quart d'heure dans le train annonçant la catastrophe. Le montage y est juste hallucinant. Véritable leçon de cinéma sur les transitions, jouant avec les craintes du spectateur nous passons de sonnerie en sonnerie, de wagon en wagon apportant une véritable tension. Chapeau.
Pour le reste, à défaut d'être transcendante, la mise en scène sonne toujours juste, à l'image du film.


Ainsi nous suivons ce train, tout en suivant aussi les personnages qui tentent d'y survivre. Certes le scénario ne brille pas là encore par son originalité, néanmoins il est loin d'être inintéressant. En effet, l'oeuvre de Romero a pu nous apprendre que le politique pouvait être inhérent au genre. Dernier Train pour Busan ne déroge pas à la règle. Sans en faire l'objectif premier (quoique), il propose ainsi quelques pistes de lectures plus ou moins effleurées, donnant plus d'épaisseur à un scénario restant finalement très simple sans que cela ne porte préjudice.


L'origine de l'épidémie serait-elle la conséquence d'une nouvelle folie des marchés ? Le riche tendra-t-il la main au plus démuni et inversement ? La confrontation des différents milieux sociaux ajoutera-t-elle encore plus de chaos ?


On a une évolution de certains personnages mais surtout une vision appuyée des comportements. Il y a un vrai regard porté sur les agissements des individus entre eux, déclinant ainsi la notion même de "zombie" originelle chère à Romero. Une notion synonyme de comportement animal individuel et destructeur propre aux morts-vivants mais surtout aux êtres vivants !


Entre le sérieux de la survie et l'humour flirtant avec la série B, le film parvient intelligemment à garder un ton équilibré et un scénario haletant. Les scènes marquantes sont nombreuses, la tension toujours bien gérée, inhérente au film dans toute sa longueur. La menace est omniprésente pour nos personnages qui en quelques minutes sont rendus plutôt attachant, autre tour de force de ce film et ce malgré les limites du casting. Le film use de clichés mais sait en tirer profit, conscient du potentiel et des limites qui en découle. Il en use, les tord, les brise aussi. On a un vrai film (de zombie) divertissant, captivant, impressionnant et qui sait parfois nous surprendre quand on croyait la chose écrite d'avance. Les émotions sont multiples et incessantes.


Avec cette oeuvre, la nouvelle vague coréenne s'attaque avec succès à la catégorie "film grand public" dans le sillage de ce qu'avait pu proposer The Host. Une nouvelle pierre, un nouveau sursaut pour ce cinéma, là où The Strangers malgré ses grandes qualités peinait à innover en cette année 2016. Ça en deviendrait gênant pour les blockbuster hollywoodiens à la qualité globale assez médiocre, que ce soit cet été comme lors de ces dernières années.


Yeon Sang-ho nous livre ainsi un film abouti, cohérent, exploitant au maximum son concept, son univers, ses décors, ses personnages avec de bonnes idées distillées ça et là (la remonté des wagons 9 à 14 est des plus astucieuse dans sa simplicité par exemple). A coup de clichés (re)maniés avec un certain brio, il revitalise un genre que l'on croyait fini. Démonstration que la valeur d'une oeuvre ne dépend pas nécessairement de sa capacité à faire preuve de nouveauté et d'originalité. Un vrai tour de force dans le cinéma actuel mine de rien. Et pour ma part le meilleur film de zombie vu au cinéma.

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le 19 août 2016

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Chaosmos

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