Je suis allé voir ce film un peu à contrecœur car j'avais peur d'être submergé par l'émotion en revoyant des lieux que j'avais découverts alors que j'étais étudiant, en 1971. J'avais en effet passé quelque temps à Tibhérine et j'y avais connu certains des moines assassinés en 1996.

Le monastère Notre-Dame de l'Atlas est situé dans les montagnes qui dominent la grande plaine agricole de Médéa, à une 100e de km au sud d'Alger. J'ai conservé des moines, du peu de temps passé en leur compagnie, le souvenir d'êtres lumineux et chaleureux, qui vivaient en parfaite harmonie avec les paysans des alentours (dont certains travaillaient sur les terres du monastère). L'annonce de leur enlèvement et l'injustice de leur assassinat m'a fait l'effet de perdre des amis personnels.

Après avoir vu le film, mon opinion est mitigée. J’ai toujours une sorte de défiance envers les films qui retracent un fait divers sordide car, pour moi, le cinéma doit être une œuvre de fiction et non une illustration, plus ou moins distanciée, d’un événement quel qu’il soit. Cette réserve vaut aussi pour les livres. Autant j’apprécie un reportage ou un documentaire qui présente des faits, autant j’ai de la réticence à lire un livre ou voir un film « adapté » événements tragiques. Cela me fait l’effet d’être un voyeur et je déteste cela.

Pour Des hommes et des dieux, je ne suis pas persuadé qu'il ait été bienvenu de faire un film sur cette tragédie sur laquelle on a si peu d'éléments. C'est un beau film, certes, mais je ne suis pas convaincu qu'il ait mérité le prix qui lui a été attribué à Cannes. Ceci dit, combien de films primés à Cannes ont, par le passé, vraiment mérité cette prestigieuse récompense ? Mais c’est une autre histoire...

Pour en revenir au film, j'ai trouvé son ton relativement (mais pas totalement) juste. On ne peut pas dire qu'il fasse dans l'éloquence. Je m'attendais à retrouver une chose que ni la guerre, ni le malheur qu'ont vécus ces lieux, n'a pu effacer : la grandeur de l'Atlas, la beauté de la plaine de Médéa et surtout les extraordinaires couchers de soleil sur le Tamesguida. Plus que les bâtiments, c'est à cela que l'on se rend compte que le film n'a pas été tourné à Tibhérine. Que le réalisateur n'ait pas pu tourner en Algérie après le drame qui s'y est déroulé est compréhensible, d'autant que la région n'est, semble-t-il pas encore pacifiée, mais, sans pour autant recourir à la palette graphique, il aurait sans aucun doute pu trouver, dans le sud marocain, des panoramas rappelant ceux de cette partie de l’Algérie. Il nous répondra sans doute que tel n'était pas son but.

Il y a en effet, dans ce film, une volonté de dépouillement telle qu'elle confine presque à la platitude et sa lenteur, sans nul doute voulue, donne par moments un sentiment d'ennui, ce qui n'est certainement pas le but visé. Certains spectateurs ont aussi dû être irrités par la trop grande place qu'y tient la religion. La spiritualité des moines que j'ai connus était sincère, réelle, profonde, certes mais elle n'était pas ostentatoire. La foi des moines se révélait à travers les actes de la vie quotidienne : travailler la terre, s'occuper des malades, participer à la vie des villageois, se rendre à Médéa, choses qu'on voit dans le film mais qui sont presque reléguées au second plan alors que, dans mon souvenir, elles étaient au centre de leur vie quotidienne...

Les acteurs ne sont pas en cause (Michael Londsdale, qui joue le rôle de frère Luc, le médecin, avec juste assez de malice, est magnifique). J'ai pris aussi beaucoup de plaisir à découvrir Jacques Herlin - frère Amédée, et quelques autres. Par contre, j’ai détesté le jeu surfait de Lambert Wilson, qui fait plus "du Lambert Wilson" qu'il n'incarne le prieur Christian de Chergé (mais c’est toujours le problème avec les rôles qu’interprète cet acteur).

Plusieurs scènes m'ont touché, mais pas véritablement ému : celle où Michael Lonsdale conseille la jeune algérienne sur l'amour, celle du dialogue entre le chef islamiste et C. de Chergé le soir de Noël... La plus belle scène, évidemment, qui reste inoubliable pour la plupart des spectateurs, est celle où Frère Luc, à la veille de l'enlèvement, ouvre deux bouteilles de vin que les moines dégustent en écoutant le "Lac des Cygnes", de Tchaïkovski. On ne peut pas ne pas y voir une allusion à la Cène. Cela en a gêné certains. Pas moi car c'est le seul moment de grandiloquence que s'autorise le metteur en scène et il le fait avec une retenue qui l'honore.
Roland Comte

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