김씨표류기 / Des Nouilles aux Haricots Noirs (Lee Hae-jun, Corée du Sud, 2009, 1h56)

Debout au milieu d’un pont, devant lui comme derrière, la ville, Kim Seong-geun est au téléphone. Après avoir perdu son travail, il apprend également que sa situation financière est catastrophique. Il doit une somme astronomique, qui à la vue de son expression ne semble vraiment pas être une bonne nouvelle. Comme on l’apprend un peu après, il est fraîchement séparé de sa compagne, qu’il a visiblement du mal à laisser partir.


Ça ne va pas fort pour Seong-geun, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est alors qu’il commet l’irréparable, et se jette du pont. Échoué sur une berge il reprend ses esprits, il est arrivé sur une île, déserte. Au-dessus de lui un pont, en face de lui, la ville, il est au milieu de la rivière, seul au milieu d’une cité fourmillante. Abandonné à son triste sort, il lui reste deux options : s’achever ou survivre.


Voilà le point de départ du très poétique ‘’Kimssi pyoryugi’’, qui pourrait se traduire en français par ‘’L’île de Kim’’, mais qui a été titré ‘’Des Nouilles aux Haricots Noirs’’, qui a sa pertinence. Même si pour l’international le titre choisi rend beaucoup plus hommage à la dimension de conte de fée contemporain, en ayant opté pour le rêveur ‘’Castaway in the Moon’’.


Dans la ligné du ‘’Cast Away’’ de Robert Zemeckis en 2001, ou encore du ‘’Into the Wild’’ de Sean Penn en 2007, ‘’Kimssi pyoryugi’’ se présente comme une version fantasmagorique. Empruntant plus au songe qu’à l’aventure humaine, ce second film écrit et réalisé par Lee Hae-Jun est absolument magnifique et virtuose. Dans sa manière même qu’il a de présenter son personnage principal, livré à lui-même dans une situation des plus kafkaïenne.


Clairement au bout du rouleau Seong-geun vit une aventure introspective, où par la force des choses et face à la solitude il apprend à se connaître lui-même. Sans portable, sans contact, sans échappatoire, il est condamné à faire de cet îlot le sien. Il transforme ainsi son quotidien, comme une part de rêve qui était déjà là et qu’il pouvait saisir à tout moment, en ne faisant que tendre la main.


À mesure qu’il retourne à la vie sauvage, c’est aux fondements même de la nature animale de l’être humain qu’il se retrouve. Il se crée alors un nouveau quotidien, le sien, où n’existe plus l’électricité, l’internet, le téléphone, les réseaux-sociaux, l’information, la bêtise, le travail, et une vie qui va à mille à l’heure pour aller nulle-part. Ce que retrouve Seong-geun c’est en fait la vie dans son plus simple appareil.


Mais il n’est pas tout à fait seul. En face de son île, derrière les eaux boueuses d’une rivière bien polluée comme il faut, il y a une jeune autiste, agoraphobe de son état, enfermée dans sa chambre, et qui n’ouvre ses rideaux que pour prendre la lune en photo. Les seules exceptions qui lui font regarder dehors de jour, sont lors des exercices de simulation de bombardement, deux fois par an. C’est à l’une de ces occasions qu’elle croise par hasard son objectif sur l’île de Kim, où dans le sable il est inscrit ‘’HELP’’.


Une relation nait alors entre Geong-geun, et Jung-yeon, qui ne ressemble à aucune autre. Elle peut le voir, lui ne peut pas, mais elle lui transmet des petits mots, par une bouteille qu’elle lance du pont. Le récit se détache dès lors du point de vue unique du naufragé, pour prendre deux chemins parallèles, complémentaires, et trouve le moyen de proposer une romance des plus atypiques.


‘’Kimssi pyoryugi’’ est une véritable ode à la liberté et à l’humanité dans ce qu’elle peut avoir de plus belle. Sans tomber dans le mièvre ou le cliché, c’est quasiment une partition parfaite délivre cette œuvre. Avec ces deux personnages marginaux, lui, sur seul sur son île, oublié de tous au beau milieu d’une rivière que plus personne ne regarde. Elle, isolée dans sa chambre, dort dans le placard enveloppé de papier bulle, pour se protéger au maximum.


Au contact l’un de l’autre l’espoir qui renaît, celui de ne pas être seul, de savoir que quelque part quelqu’un peut nous comprendre. Dans un premier temps elle prend Geong-geun pour un extra-terrestre, on ne peut faire plus aliéné à la société, que celui qui est perdu sur une autre planète que la sienne. Le métrage est ainsi parcouru de multiple réflexions de la sorte, toujours très simplement, et mis en scène avec une vraie tendresse pour les deux protagonistes.


Avec sa mise en scène particulièrement sobre, il n’y a absolument aucunes fioritures, aucun maniérisme, Lee Hae-jun dénude totalement son métrage de tout artifice pour se concentrer sur une seule chose : le facteur humain. Tout le récit est ainsi traversé par cette thématique, à laquelle le cinéaste donne vie par sa vision. Force est de constater qu’il est particulièrement optimiste.


En arrière-plan se dresse le portrait d’une société froide et grise, imagée par la ville de Séoul, dédale de buildings gargantuesques et glaçants, où les phares des voitures sont comme autant de cicatrices dans la nuit. Cependant l’aliénation créé par ce monde n’est pas le souci principal du métrage. Elle n’en est qu’une cause, permettant de faire naître la relation entre Geong-geun et Jung-yeon. Car ce qui intéresser en priorité un réalisateur prenant un soin particulier à développer ses deux protagonistes, avec une fascinante bienveillance.


Drôle, le film n’oublie jamais de l’être. Tragique, il l’est parfois. Mais à l’image de la vie, ce sont en fait des hauts et des bas qui parcourent un récit intelligemment troussé. Face au temps qui passe, à l’ennui qui s’installer, les occupations et les défis du Robinson Crusoé de Séoul se présentent progressivement au jour le jour, à mesure qu’il s’adapte. Ainsi il commence par pêcher, puis chasser, puis vient le temps des cultures.


Il en vient également à construire un épouvantail, portant le costard qui l’habillait à son arrivé sur l’île. Vestige de l‘uniforme qu’il portait lorsqu’il était encore un bon petit soldat au service d’une entreprise carnassière n’ayant eu aucun état d’âme à le licencier. Ce costume, devenu sinistre, est le même qui est porté par ces bourreaux des temps modernes, ceux qui sont ironiquement appelé les ‘’chasseurs de têtes’’, et qui arrivent progressivement à la tête de nation qu’ils gouvernent comme des start-up.


Cet épouvantail devient son compagnon de roule, avec le vieux seau rouillé qui lui sert de tête, comme une résonance avec le Wilson de ‘’Cast Away’’, une amitié forte se tisse entre les deux. C’est aussi ce qui lui permet de ne pas devenir totalement fou, tout en prenant bien soin de mettre derrière lui ce qu’il était. Ainsi que cette société au cœur de laquelle il a échoué, et qui l’a laissée tomber lorsqu’elle n’a plus eu besoin de lui.


N’omettant pas quelques séquences émouvantes, il y en a une en particulier, qui de par sa simplicité et sa banalité, filmée avec énormément de pudeur et de retenu, sans mièvrerie ni complaisance, ou volonté de misérabilisme, provoque l’émoi. Une scène splendide, qui montre un geste simple, qui sur l’île devient une victoire, celle du triomphe de l’individu sur un monde devenu fou. Une victoire qui ne peut que tirer les larmes aux yeux, de par sa candide magie.


Marqué du sceau de la beauté picturale, ‘’Kimssi pyoryugi’’ s’avère être ce que l’on peut appeler un ‘’grand film’’. C’est une œuvre aboutie et maîtrisée de bout en bout, sans faux pas, proposant une réflexion limpide sur l’existence, et les raisons de continuer à se faire exploiter par des institutions devenues complètement folles, qui négligent de plus en plus la nature humaine au nom des profits, cultivant l’apparence et le faux-semblant.


Si ce n’est pas une œuvre critique à proprement parlé, il n’y a ni irrévérence, ni malice, ce qui forge la base du récit, et qui amène Geong-geun et Jung-yeon à se (re)construire l’un par l’autre, prend néanmoins sa source dans le malaise social. Ces deux personnages, d’un point de vue extérieur sont perçu comme ‘’différents’’, un clochard et une timbrée. Mais sous l’objectif de Lee Hae-jun ils sont deux êtres humains, dans la plus belle expression du terme.


Trop en a déjà été dit, le meilleur moyen d’apprécier ‘’Kimssi pyoryugi’’ est de le découvrir, sans trop d’informations, pour se laisser porter par une aventure humaine sublime et passionnante. Tout en se laissant conquérir par deux personnages évoluant sur un autre plan que le quotidien qu’on cherche à leur imposer. Se donnant leurs propres règles, répondant à leurs propres envies, en laissant libre cours à leurs rêves les plus fous. Qui sont souvent les plus simples.


-Stork._

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le 11 mai 2020

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