Si vous vous demandiez comment rater complètement un film, Jonas Cuaron, hijo de Alfonso, est peut-être là pour vous donner la réponse. Desierto nous emmène suivre un groupe d'immigrants illégaux mexicains à la frontière avec les États-Unis, qui vont être pris en chasse par un homme amateur de chasse à l'homme sous l'atmosphère caliente du désert mexicain/américain.
On reproche beaucoup à ce film le vide politique de son scénario, qui n'utilise la thématique pourtant chaude brûlante de l'immigration mexicaine (celle-là même qui pousse un homme à perruque blonde à vouloir devenir Président des USA pour construire tout un tas de murs) uniquement comme prétexte à une intrigue de survival des plus lambdas.
Pourtant, rien n'oblige Cuaron à partir dans un essai politique, et on peut tout à fait accepter le parti pris simple d'un thriller de survie. Sauf que c'est raté de A à Z. Et ça, c'est tout de suite moins acceptable.


Le cœur du problème, ce sont les personnages. Le groupe d'une quinzaine de personnages que l'on nous présente en trois plans vite expédiés n'a absolument aucun intérêt pour le spectateur. La plupart n'ont qu'une voire aucune ligne de dialogue, ni aucun signe distinctif pour les rendre notables. Au-delà d'être mal construits, ils n'ont aucun charisme (direction d'acteurs où t'es ?), c'est le néant absolu en terme d'aspérités ou de profondeur (écriture où t'es ?), ce qui n'est pas arrangé par le nombre. Alors certes le problème est vite réglé, radicalement (un peu trop), dans la première demie-heure, par une séquence de tir au pigeon par notre méchant américain du jour, Jeffrey Dean Morgan. On se retrouve vite avec quatre puis deux protagonistes à suivre chez les Mexicains. De quoi aérer le scénario et enfin construire un semblant de background pour les personnages ? Que nenni ! On ne retiendra du héros que le fait qu'il ait une casquette rouge (qu'il mettra à l'envers à la fin du film en grand gagnant qu'il est, tel Sacha dans Pokémon, ridicule) et de la fille qui l'accompagne qu'elle a une chemise bleue.
Certes, il y a bien une scène d'exposition des enjeux où nos deux "héros" blablatent sur les raisons de venir aux States. Parlons-en justement, de cette scène. Côté héros, elle ne sert in fine qu'à introduire un élément de scénario sous la forme d'un ours en peluche, qui servira plus tard dans l'histoire (le temps que la grosse ficelle scénaristique se déroule). Le vrai problème, c'est que parallèlement, on a une scène où on voit le tueur, au coin du feu, discuter avec son chien sur sa propre folie, sa conscience de partir en vrille, à force de vivre dans cet enfer désertique. Il y a dans cette ligne de dialogue plus de profondeurs et de force empathique - pour le tueur, hein - que dans tout le reste du film où l'on suit les survivants. Résultat : on a paradoxalement plus d'empathie pour le tueur que pour ses victimes. Ce qui pose, admettons-le, un problème. C'est à ce point raté que la mort du chien nous attriste plus que celle de tous les autres (parce qu'elle est de loin la plus marquante en terme de violence, c'est fou de ne pas s'en être rendu compte), et qu'on en vient à souhaiter que le "cowboy" gagne, parce qu'il est le personnage le plus intéressant et de loin ! Pourquoi ? Parce que même le chien a plus de temps d'écran pour vivre en temps que personnage que les autres, qui ne sont, du héros au figurant qui a le droit à 45 secondes de gloire avant d'être abattu, que des personnages-fonctions ratés. Cuaron s'est totalement vautré, à moins que ce soit voulu, mais auquel cas vouloir nous rendre sympathique un tueur de clandestins au sang froid, avouez que c'est spécial.


De plus, même l'aspect thriller ou survival est raté. Perclus de clichés, la trajectoire du héros ne doit sa happy end qu'à un bouclier scénaristique qui dévie miraculeusement toute balle d'un tireur dont on a pourtant vue l'adresse - et ça, autant on peut le pardonner dans un bon film, autant là ça ne passe pas. Niveau musique, on attendait Woodkid, il est arrivé deux minutes après le début du générique de fin : le décalage horaire entre Paris et Mexico, peut-être ?


Bref, dans ce désert, tout le monde vous entendra crier, crier votre désespoir d'avoir été arnaqué sur la marchandise pendant une heure et demie. Au mieux, ça vous permettra d'apprendre quelques insultes en espagnol.

Cyprien_Caddeo
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le 19 avr. 2016

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