Désigné Coupable, où The Mauritanian dans la version originale, de Kevin Macdonald débarque sur nos écrans avec une belle réputation dû à ses nominations aux Golden Globes pour Tahar Rahim et la récompense pour Jodie Foster, même si le film n’en a pas reçu aux Oscars. Près d’un mois après sa sortie, il est temps de le découvrir.


L’Amérique post 11/09


Après les attentats du 11 septembre 2001, l’administration du président Georges W. Bush et de son secrétaire à la défense Donald Rumsfeld vont se lancer dans une guerre contre le monde arabe. Une guerre qui bafoue la convention de Genève, faisant fi de toutes distinctions et réflexions, en cherchant à tout prix les responsables de ces attentats. Mohamedou Ould Slahi (Tahar Rahim) va être une des victimes de cette guerre aveugle.


Deux camps vont s’affronter autour de Mohamedou Ould Slahi. Celui de son avocate Nancy Hollander (Jodie Foster) et son associée Teri Duncan (Shailene Woodley) représentant un cabinet qui défend les causes perdues. Puis, celui du lieutenant Stuart Couch (Benedict Cumberbatch) qui représente les États-Unis avec tout ce que cela comporte de moyens pour parvenir à le déclarer coupable et obtenir la peine capitale.


On s’attend à un affrontement, du type “le petit cabinet contre la grosse machine de guerre américaine”. Il n’en sera rien. Le film ne fait pas preuve de manichéisme. Nous sommes face à des êtres humains avec une conscience et une foi inébranlable leur permettant de remettre en questions le bien fondé des actions du gouvernement américain, ainsi que des lois sur lesquelles il repose pour faire preuve de partialité à l’égard de son peuple ainsi que du monde.


Mohamedou Ould Slahi est arrêté sur le simple fait d’avoir reçu un appel du portable d’Oussama Ben Laden. Sa détention ne repose sur aucune preuve. Il est détenu illégalement sur l'île de Guantanamo parmi près de 800 autres détenus. Les conditions de sa détention sont une honte de la part d’un pays dit moderne. Ses droits sont bafoués. Sa famille est sans nouvelles de lui. Il faudra des années avant qu’un avocat interprété par Denis Ménochet interpelle Nancy Hollander pour se débarrasser de cet encombrant dossier pour ses affaires. Ce n’est que le début d’un long combat pour un homme se reposant sur sa foi pour survivre dans cet enfer sur terre.


Guantánamo


Le centre de détention peut s’apparenter à un camp de concentration. Mohamedou Ould Slahi est isolé. Il subit des tortures aussi bien de la part des hommes que d’une femme. Si vous avez le souvenir des photos prises par les gardiens, vous connaissez la nature de leurs exactions. Sa vie ne vaut plus rien, contrairement aux iguanes qui peuplent cette île paradisiaque cubaine.


Il est désigné coupable. Le film tente de jouer sur l'ambiguïté de ses actes, de son passé et de ses déclarations. Cela ne fonctionne pas. On est en empathie avec cet homme. On est admiratif de sa foi et de son comportement auprès des gardiens, ainsi que le seul détenu avec lequel il va pouvoir communiquer, le Marseillais. On apprécie son discours. Il demande à être considéré comme un être humain et non comme une affaire par ses avocates. C’est un homme que le gouvernement américain tente de briser. Mais il reste debout, confiant envers le jugement de dieu.


Les croyances sont importantes pour les protagonistes de cette affaire. C’est la foi en un dieu, en ses principes et aux lois qui vont guider le lieutenant Stuart Couch malgré les tentatives de ses supérieurs de faire appel à son patriotisme. Un patriotisme qui aveugle toute une nation, réclamant vengeance, au détriment de toutes considérations. On est soit pour ou contre les USA, il n’y a pas d’autres alternatives.


20 plus tard, le centre de détention de Guantánamo est toujours ouvert. Il reste encore une quarantaine de détenus. L’administration Bush l’a mise en place. Celle d’Obama a tenté de le fermer mais sans en avoir vraiment le souhait, au point de continuer à poursuivre Mohamedou Ould Slahi malgré divers acquittements. On ne parlera pas de celle de Trump. Joe Biden devrait enfin mettre fin à l’existence de ce camp de la honte, au risque d’être traité de traître.


Du Prophète à The Mauritanian


L'histoire de Mohamedou Ould Slahi est prenante. Elle est le reflet d’une Amérique hors de contrôle, sûre de son fait, se prenant pour les maîtres du monde. Un pays qui s’est construit sur un génocide, prête à tout pour arriver à leurs fins avec l’aval des autres pays dits modernes, se couvrant parfois d’un semblant de contestation que les dollars et la fascination pour ce pays étouffent aussi vite.


Tahar Rahim est à la hauteur du personnage qu’il interprète. Depuis Un Prophète de Jacques Audiard, il construit une carrière plus intéressante à l’international. Il avait déjà croisé la route de Kevin Macdonald pour L’Aigle de la neuvième légion. Mais c’est surtout son interprétation d’Ali Soufan dans la série The Looming Tower qui m’a dernièrement impressionné. Elle aborde les dysfonctionnements entre la CIA et FBI qui a donné lieu au 11/9, pour des questions d'ego et de pouvoirs dont les principales victimes sont américaines. Le lien avec Désigné Coupable est évident, chacun abordant les errements d’un système plus enclin à tuer qu’à juger les présumés coupables.


Une œuvre qui permet de retrouver Jodie Foster qui se faisait plutôt rare sur nos écrans, après une belle période avec Carnage, Elysium et Money Monster, dont elle est aussi la réalisatrice, entre 2011 et 2016, une éternité dans le 7ème art. Elle est, comme souvent, impeccable, de même que Benedict Cumberbatch apportant une humanité à un personnage dont on s’attendait à le voir animé par une soif de vengeance. Avec Tahar Rahim, il forme un trio qui porte un film qui manque de profondeur et de puissance émotionnelle malgré sa dernière demi-heure.


Enfin bref…


Désigné coupable n’est pas une œuvre politique, ni même un pamphlet contre l'administration de Georges W. Bush. Le film ne va pas au fond de son sujet, en se contentant de raconter la détention de Mohamedou Ould Slahi avec en fond une bataille juridique, qui est surtout un combat contre la conscience à travers leurs croyances, qu’elles soient religieuses ou institutionnelles.


Le film déroule son sujet, en nous mettant parfois sur les nerfs. Il alterne avec des moments, apportant parfois le sourire (Omar Sharif). Pourtant, le sujet est difficile. En désamorçant les scènes d’extrême tension par ses petites notes légères, Kevin Macdonald empêche son œuvre de prendre une dimension susceptible d’en faire une œuvre aussi remarquable que son Dernier roi d’Ecosse. Elle n’en reste pas moins appréciable grâce à la performance de Tahar Rahim entouré de Jodie Foster et Benedict Cumberbatch, ainsi que son passionnant sujet, malheureusement inspiré d’une histoire comme le démontre son générique final.

easy2fly
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le 13 août 2021

Critique lue 91 fois

Laurent Doe

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