La détective du LAPD Erin Bell a jadis infiltré un gang du désert californien, ce qui a eu des conséquences dramatiques. Lorsque le chef de la bande réapparaît, elle doit fouiller dans le passé pour se défaire de ses démons. Voilà pour le synopsis. J’ai déjà vu ça quelque part.


Une bonne part de la publicité faite au film l’est pour souligner la performance de l’actrice Nicole Kidman, vieillie, enlaidie (est-ce possible ?). Une de ces performances d’acteur, de ces transformations physiques propres à émouvoir le jury des Oscars et à servir de rampe aux vieux acteurs empruntant les branlants escaliers de la gloire. Hope And Glory. Certains journaux français ont lourdement insisté sur cette prouesse d’une Kidman méconnaissable, bancroche, grise, hébétée. Son demi-affaissement des paupières m’a fait rire aux larmes. Certes, la bistourification du visage d’ange de Kidman la rendait-elle méconnaissable depuis longtemps. A-t-on jamais su à quoi elle ressemblait ? Mais, même si les Etats Unis ne sont pas trop exigeants en matière de scénario, un Oscar sous-entend avoir quelque chose à jouer. Son incarnation de Virginia Woolf dans The Hours en 2002 (Biopic avec transformation physique déjà poussée) lui avait valu un Oscar, un Golden Globe, le BAFTA et l’Ours d’argent de Berlin de la meilleure actrice. Ce n’est pas avec l’indigent Destroyer que Kidman remontra sur le podium.


Le flic marqué physiquement (c’est un minimum) et psychologiquement (c’est le summum), zone dans les bas-fonds américains ou français. On se souviendra de la performance de Harvey Keitel (Reservoir Dogs, Tarantino, 1992, mais également Bad Lieutenant de Ferrara, 1993), plus récemment on aura vite oublié Balade entre les tombes avec l’inénarrable Liam Neeson (Scott Frank, sorti en 2014). Côté français, les barbes de sept jours sentant bon la poudre et les larmes ont consacré définitivement (et englouti parfois) les carrières des Delon, Jean‑Hugues Anglade, Vincent Cassel ou Olivier Marchal (cherchez l'erreur)… Plus rares des femmes flics mal rasées ont toutefois marqué le cinéma octogonal avec la très remarquable Marina Foïs (Poliss, Maïwenn, 2011) ou la formidable Josiane Balasko dans : Cette femme-là (Guillaume Nicloux, 2003). Pour les deux derniers films cités, il y avait quelque chose à jouer.


Destroyer raconte la trajectoire d’un gang suicidaire et des flics non moins suicidaires chargés de les arrêter. Les méchants nous gratifient de tous les stigmates de la sociopathie : TOC, crispation des maxillaires, ricanement sournois, réparties incohérente. Les flics, immersion oblige, les imitent à s’y méprendre. Le clou du film est sans doute atteint lors de la scène de masturbation d’un indic (j’avoue que je ne suivais plus) par le repoussoir de la brigade ; quelle audace. Grosse malheur la guerre ! Pour Karyn Kusama (pour moi inconnue mais j'apprendrais à fuir ce nom) l'Eden dévoyé c'est LA, toile de fond de cette production aux relents de téléfilm basique, complaisant et poisseux. Le bien triomphe mais au prix fort. Les Pyrrhus y passent. Les plus courageux verront comment. Deux heures de vice, de crime et de châtiment c’est long. Comme lors des tueries de masse qui endeuillent régulièrement le pays de la Liberté, le reste de la population s’emmerde dans les embouteillages et rempli son caddy en attendant les vacances de Thanksgiving. Entre deux massacres, deux policiers, deux élections et deux plus jamais ça : The show must go on. Une violence endémique dont on ne saura que trop tard qu’elle était pandémique. Pourtant, pour l’évolution des mœurs outre Atlantique, nous disposions d’un indice de taille, puisque la statue de la Liberté depuis 133 ans ne s’est toujours pas décidée à quitter les rives de l’Hudson pour visiter les Appalaches. Comme un ET en panne de batterie, parano, la Liberté mate du côté de l’Europe où nos talents d’imitateurs aidant nous ne tarderont pas rejoindre l’Ouest trébuchant pour un funeste épilogue.


Compte tenu de ce qui précède écrire que Destroyer est un mauvais film serait superfétatoire. Dans la filmographie de Kidman je vois quelques films disposant de la vertu de faire oublier ce nanar inutile. Dans un ordre aléatoire : Dogville de Lars von Trier, Mise à mort du cerf sacré (The Killing of a Sacred Deer) de Yórgos Lánthimos, Les Autres (The Others) de Alejandro Amenábar, Prête à tout (To Die For) de Gus Van Sant et bien sûr Moulin Rouge de Baz Luhrmann, nous réconcilieront avec cette actrice aux tentations de comédienne. C’est le moment des rediffusions et des films de trop. Optons pour nos meilleurs souvenirs de cet éternel amour d’adolescence.

Lissagaray
8
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le 12 août 2019

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