Enfin le nouveau Tony Kaye, l'homme qui était derrière le troublant American History X, un film qui aura traumatisé le public lors de sa sortie. Il faut dire que de nombreuses années séparent les deux longs-métrages (plus de dix ans) et entre-temps, aucuns films de Tony Kaye n'ont fait l'objet d'une sortie dans nos salles.

Le film s'intéresse à un professeur à la dérive, Henry Barthes, superbe Adrian Brody alors éloigné des rôles moyens (pour ne pas dire merdique) dont il nous avait habitué récemment (Predators, Giallo). Quoi qu'on en dise, Adrian Brody n'a jamais été aussi bon que lorsqu'il compose dans des drames (remember Le Pianiste). Il insuffle à merveille les fêlures de ce professeur remplaçant qui vise à tout prix à instaurer un certain détachement entre lui et le reste du monde, quitte à voguer seul en ce bas monde. Un simple plan sur le visage d'Adrian Brody, où figure au premier plan un impressionnant appendice nasal, suffit pour témoigner de la détresse de cet homme, de cet enseignant qui a perdu la foi comme tant d'autres avant lui.

En supplément de la superbe performance de son acteur principal, Tony Kaye en bon directeur de photographie ajoute des plans, vestiges d'un passé ayant traumatisé le héros. On arrive aisément à dissocier ces scènes de la chronologie actuelle grâce à l'utilisation d'un grain prononcé mâtiné d'une couleur rougeâtre. Cela confère à ces scènes un certain trouble qui n'est sans rappeler celui dont on dispose quand on plonge dans nos souvenirs

Sans oublier ces superbes dessins animés utilisant les deux armes de tout enseignant qui se respecte, le tableau et la craie. Ces dessins animés afficheront des passages très réussis surtout celui témoignant l'état d'esprit du personnage joué par Lucy Liu ou d'autres survenant toujours au bon moment pour illustrer la pensée d'Henry Barthes

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comme durant ce dîner avec la magnifique rouquine Christina Hendricks où son monologue bavard et solitaire installe un mur (dessiné à la craie) entre Henry et elle. Comme quoi une image vaut parfois plus que mille mots.
FIN SPOILER

Le sujet du film en outre de la délicieuse détresse d'Adrian Brody se veut aussi être un cinglant portrait de la détresse de la scolarité américaine, qui est quand même une des pires au monde comme en témoigne de nombreuses statistiques. Pour davantage d'informations, je vous conseillerais de vous diriger vers l'excellent documentaire Waiting for Superman. Ce sujet n'est pas sans rappeler le film qui a gagné, à la grande surprise d'à peu près tout le monde, la palme d'or : Entre les murs. Sauf que le traitement n'est pas le même. Alors que le professeur d'Entre les murs veut aider ses élèves, Henry Barthes instaure un mur entre lui et sa classe. Mais ça n'empêchera pas Henry de céder à ses sentiments en aidant une jeune prostituée pour une histoire émouvante.

Le film s'intéresse aussi épisodiquement à un fille mal dans sa peau et portée par sa passion pour la photographie ce qui permettra de voir des photos magnifiques et sûrement dues à l'énorme talent du réalisateur Tony Kaye. Cette histoire est aussi un témoignage tragique et s'applique à démontrer que le détachement n'est pas humain malgré toute la force qu'y met Henry Barthes.

Le film est handicapé par quelques petits défauts comme une tendance à être très bavard alors que parfois un instant de silence serait plus parlant. Difficile parfois de s'y retrouver entre les différents niveaux de lecture : le film est entrecoupé de témoignages d'Henry Barthes. On peut reprocher au film quelques petits clichés mais l'expérience suffit pour dire que parfois les clichés sont le reflet du vrai.

De plus, le film cède un peu trop vers la facilité en rejetant toute la faute de l'échec scolaire sur les parents

SPOILER
(la fameuse scène de la rencontre parents/profs).
FIN SPOILER

Ni les professeurs, ni le système éducatif n'est remis en cause alors que c'est loin d'être franchement glorieux (voir Waiting for Superman). Dommage que le scénario de Detachment ne gratte pas assez pour pénétrer dans un vrai portrait de l'échec scolaire mais sans nul doute parce que ce n'est pas là le vrai sujet du film.

Sans oublier que la volonté d'Henry Barthes de se détacher de ses élèves nous coupent en quelque sorte d'un lien émotionnel avec les personnages

SPOILER
même si ça n'empêche l'émouvante scène de rupture entre Henry et la jeune prostituée qu'il a recueilli. Le final permettra de les réconcilier bien aidée le suicide de la jeune adolescente et la séropositivité de la fille.
FIN SPOILER

Le film devrait connaître une suite spirituelle sous le nom d'Attachment prévu pour 2012.

Mention spéciale à la scène furieusement drôle avec James Caan singeant à merveille un adolescent et à la scène finale.


Conclusion:

Tony Kaye signe un beau retour avec Detachment, un témoignage émouvant de la détresse d'un enseignant face à son échec même si le choc ne sera pas aussi important que face à American History X.
Marvelll
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le 1 févr. 2012

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Marvelll

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