Le cinéma de Kathryn Bigelow, on en connait la force. Surtout depuis Démineurs et Zero Dark Thirty. La réalisatrice récidive ici, avec Detroit. Pas étonnant, me direz-vous, vu que Mark Boal a été reconduit pour tenir les rênes de son scénario, une fois de plus éminemment politique.


Cependant, en s'emparant des tensions raciales de 1967, qui résonnent encore d'une manière tout aussi anachronique que tristement réaliste dans les tripes de l'Amérique, Kathryn Bigelow a le bon goût de ne jamais asséner, de ne pas donner de leçons, de ne jamais montrer du doigt. D'où, certainement, le recours à une mise en scène en forme de journal de guerre dans les prémices de l'oeuvre. Un tel parti pris laisserait espérer, le temps de quelques minutes, l'exposition de ce qui aurait pu être dessiné comme un survival d'action ultra burnée et vénère, au coeur d'une véritable guérilla urbaine, qui apparaitra comme par flashs qui rappelleront le cinéma vérité très typé eighties.


Sauf que la réalisatrice privilégie les images chocs aux fracas de la cinétique, tel ce char qui débarque dans le cadre et qui shoote dans la fenêtre d'un immeuble, tel cette fuite éperdue et ces coups de feu lâches. Ou encore ces scènes de pillage et cette révolte prétexte, face à un déploiement démesuré, renvoyant dos à dos les opposants dans une peinture finalement assez peu glorieuse.


Mais cette première partie qui semble avoir été clairement envisagée comme purement contextuelle, se transforme soudainement en une sorte de huis-clos qui, au bout du compte, enfermera à jamais la société américaine , celle qui n'aura jamais eu la volonté de faire face à ses propres démons qui la rongent de l'intérieur. Si naguère, Kathryn Bigelow tenait d'une main experte sa tension toute "explosive", elle applique sur Detroit ce même précepte, en instillant et en gardant vif un constant sentiment d'inconfort, de malaise, de révolte sourde puis impuissante alors qu'elle a la tête contre le mur ou reste face contre terre.


Si les victimes de cette barbarie rentrée dans les moeurs sont toutes au poil, si John Boyega s'illustre dans une composition duale piégée entre sa couleur et son allégeance mesurée, c'est cependant le brillant Will Poulter qui remporte la mise. Qu'il est loin le gamin énervant qui évoluait sur le pont du Passeur d'Aurore ! Car c'est sur sa tête de salaud intégral et sur son interprétation de la bête que repose toute la violence du propos du film, son personnage se transformant en un boogeyman d'une nuit d'horreur en forme de longue et insidieuse descente aux enfers reconstituée entre énergie, colère et soumission.


Si l'on s'arrêtait là, Detroit mériterait à coup sûr un 8, tant la maîtrise de Kathryn Bigelow sur son oeuvre est évidente, éclatante, tant son point de vue cru et son usage de la violence psychologique sont parfaits. L'oeuvre s'envisage dès lors comme un véritable uppercut . Violent. Puissant. Choquant. Jusqu'à ce que la réalisatrice décide de filmer plus loin, de porter son regard sur l'après Algiers. Sur ses conséquences évidentes, sur ses injustices habituelles. En refermant le film, un peu malheureusement, sur un épilogue que l'on a déjà vu au moins mille fois, en mettant en scène un procès classique proprement honteux, Bigelow altère de manière non négligeable la force brute de son constat dans de longues minutes qui nous sont qui plus est rabâchées par les traditionnels panneaux sur le devenir des personnages principaux de ce fait divers.


Il est d'autant plus dommage de se rendre à pareil constat alors qu'elle avait réussi à éviter l'écueil de la lourdeur en concentrant son entame en un formidable passage dessiné de seulement quelques fugaces minutes.


Comme si Kathryn , en prétendant au mieux pour son oeuvre coup de poing, ratait la dernière marche, alors même qu'elle semble avoir les yeux rivés dessus, tant sa puissante démonstration perd de son énergie et de son acuité dans un après coup bavard et par trop démonstratif.


Alors que les chars, eux, allaient droit au but en ravageant le bitume et que les officiers de police tiraient sans sommation, sûrs de leur bon droit.


Le droit de tuer.


Behind_the_Mask, black mic-mac.

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le 13 nov. 2017

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