Voilà une nouvelle fois la preuve par quatre que l’on peut faire un excellent film avec peu de moyens, sinon le talent bien sûr, et c’est le cas du dernier opus des frères Dardenne, Jean-Pierre et Luc qui nous offrent un long métrage magistral, profondément ancré dans notre quotidienneté, celle du chômage et de ses conséquences et, ce, sans artifices superflus, sans misérabilisme, sans grandes orgues, mais avec un linéaire d’une parfaite lisibilité et une actrice qui vibre comme un stradivarius : Marion Cotillard. Il est certain que sans elle, admirablement dirigée par ses metteurs en scène, le film n’aurait pas cette densité qui nous accroche et nous sollicite à chaque seconde et maintient une émotion constante. Mal habillée, coiffée à la hâte, sans maquillage, Marion Cotillard n’a jamais été plus belle, dénudée psychologiquement dans ce rôle qui lui colle à la peau et en fait une héroïne d’une actualité bouleversante.

En effet, Sandra, ouvrière dans une entreprise moyenne, n’a que le temps d'un week-end pour convaincre une majorité de ses dix-huit collègues de renoncer à leur prime afin qu'elle puisse conserver son emploi. Autant de destins, souvent aussi fragiles que le sien, qu'elle va aller bousculer, autant de doutes qu'elle devra affronter, et finalement une fierté retrouvée en assumant cette fois ses propres choix. Sandra sort d’une dépression qui l’a laissée particulièrement vulnérable, et ces visites de porte à porte vont être à la fois une épreuve redoutable et un électrochoc qui va lui rendre sa dignité. Car c’est surtout de dignité qu’il s’agit, de cette confiance en soi tellement mise à mal lorsque l’on vous dit que l’on n’a plus besoin de vous, qu’ainsi vous n’êtes plus utile à la société, que celle-ci se passe de vos services. Certes Sandra n’est pas dans la misère, elle a sa maison, un mari qui l’aime, deux beaux enfants, elle n’est pas démunie financièrement car son mari a un travail, mais elle n’existera plus au regard d’une société active qui ainsi la relègue dans une passivité honteuse.

Admirablement construit, cet opus nous rend compte des visites de Sandra à ses collègues et des réactions de chacun d’eux avec une grande justesse de ton : la plupart vont accepter d’abandonner leur prime de 1000 euros pour permettre à Sandra de conserver son emploi ; quelques-uns auront une réaction que l’on peut comprendre parce que leur propre situation financière est difficile, qu’ils ont des emprunts, des enfants à charge, des soucis de fin de mois et pas un instant notre attention ne se relâche parce qu’il y a tellement de vérité, d’authenticité dans le jeu des acteurs et leurs situations, que c’est une belle tranche d’humanité quotidienne qui nous est proposée.

Dépouillée jusqu’à l’os, filmée avec presque rien dans une banlieue qui ressemble à toutes les banlieues, avec des acteurs qui sont chacun de nous, voilà une œuvre qui nous touche comme le ferait une cantate discrète et poignante, une musique de chambre délicate et profonde et comme le regard inquiet et résigné de Sandra, porte-flambeau modeste d’une belle cause.
abarguillet
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le 25 mai 2014

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