Malgré tout le bien que je pense de Jacques Audiard, je ne peux m'empêcher de voir dans la Palme d'Or de Dheepan un acte plus politique que véritablement artistique, à l'image de celles attribuées à Fahrenheit 9/11 ou à La vie d'Adèle. Comme si la qualité de l'oeuvre en elle-même avait bien moins d'importance que le contexte politique et social de l'époque qui accompagne sa sortie.


Adaptant son scénario en fonction du vécu de ses comédiens pour la plupart non-professionnels, Jacques Audiard ancre une nouvelle fois son récit dans un cadre extrêmement réaliste, sans toutefois se contenter de cette étiquette bien trop réductrice de "film-débat". Si contexte politique il y a dans Dheepan, Audiard se contente de courts extraits télévisés ou d'informations par-ci par-là, cherchant avant tout la vérité dans le regard de ses personnages.


Des protagonistes qui sont la véritable force de Dheepan, qui profitent du parti-pris d'un Audiard ne cherchant jamais à leur coller une auréole sur la tête ou à les diaboliser. Le metteur en scène se contente de montrer des hommes, des femmes et des enfants tentant de survivre comme ils peuvent, exilés troquant un purgatoire contre un enfer urbain et déshumanisé. Jamais jugé ni excusé, le trio composant cette famille improvisée brille par sa complexité, par les espoirs, les désirs et les rêves qui guide ses pas, et bénéficie du naturel confondant de ses excellents interprètes.


Cinéaste avant tout, Audiard a également le mérite d'offrir à son audience du pur cinéma, de parer son film d'une mise en scène à fois sèche et sensuelle, filmant les corps et leur mouvement avec force et grâce. Bien que noir et rêche, Dheepan s'autorise quelques instants de poésie et de légèreté, comme pour souligner que la beauté trouvera toujours une infime place au milieu du chaos. Si le virage particulier de la dernière bobine pourra chagriner certains spectateurs, la démarche du cinéaste m'apparaît au contraire généreuse et sensitive, épousant parfaitement la schizophrénie de son personnage tout en enfantant un très beau moment de cinéma.


Hormis quelques longueurs et une poignée de facilités dans la description des banlieues, Dheepan est une oeuvre forte et émouvante à ne surtout pas rater, non pas pour son lien avec une actualité brûlante, mais bien pour ses qualités purement cinématographiques. Du cinéma engagé certes, mais qui ne prend pas ses intentions ou son message pour seuls bagages.


P.S: critique rédigée dans la douleur avec VesperLynd beuglant des conneries à mes côtés. Ayez pitié de ma pauvre petite personne.

Gand-Alf
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le 4 sept. 2015

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Gand-Alf

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