La Palme d'Or cannoise est sans nulle doute la récompense cinématographique suprême, aussi bien dans les milieux autorisés que pour le commun des mortels, et ce d'autant plus dans le monde franco-français du cinéma hexagonal.
Objet tour à tour politique, poétique, esthétique, elle est toujours objet de passions, tant il est vrai qu'on ne console point son chagrin quand notre poulain en compétition repart avec un prix de consolation, tandis qu'une sombre escroquerie masturbatoire, après avoir trompé un jury frôlant l'overdose de champagne, remporte les honneurs dans un enthousiasme -de façade- général, sans qu'aucune Mathilde Seigner -ou autre ingénue au grand cœur- ne vienne perturber les convenances soporifiques d'une cérémonie qu'on renie soudain, envoyant valser de rage une télécommande qui au demeurant, n'y était pour rien du tout.
Je dois l'avouer, je me laisse quelquefois sombrer dans ces élans de violences imbéciles et grotesques, et ce pauvre objet, dont le seul crime a été de remplir la fonction pour laquelle il a été fabriqué, se retrouve bien malgré lui embarqué dans un vol plané, somme toute assez médiocre, avant de finir sa misérable course dans une autre victime inanimée, qui est bien souvent ce pauvre canapé, et qui, au vu du ridicule de la situation, garde pourtant toujours une dignité qui laisse admiratif.


Vous l'aurez compris, j'ai envie de parler de n'importe quoi plutôt que de ce film, alors même qu'il est pourtant la toute première œuvre dont je m'apprête à vous faire subir la critique.


En tant qu'admirateur non-dissimulé du regard à la fois subtil et familier du cinéma de Jacques Audiard, sa dernière réalisation a été pour moi un véritable coup de poignard en plein cœur.
En effet, j'étais ressorti bouleversé il y a quelques années d'une salle où j'étais aller voir un film, dont pourtant le titre seul avait attiré mon attention, et qui avait néanmoins réussi l'exploit, et ce avec brio, de me faire supporter Romain Duris pendant une heure et quarante-sept minutes... Je veux bien-sûr parler de son très réussi De battre mon coeur s'est arrêté. L'approbation avait été totale, sans aucune concession. Je n'avais jamais vu de regard aussi juste, et plus que le film en lui-même, qui est tout de même très bon, c'est le regard du réalisateur qui m'avait fasciné. Cette manière de mêler deux choses, qui sans être forcément antinomiques dans la réalité, sont pour le moins très difficile à retranscrire sans tomber dans le grotesque, m'avait laissé sans voix. Le réel, cru, et la poésie, sans accompagnements. Un hyper-réalisme, d'où surgit une fulgurance inattendue dans un univers aussi cruel que sans artifices, non il n'y avait pas à chipoter, c'était un coup de génie.
Sur les conseils de ma mère, qui sont toujours de très bonne facture, les chiens ne font pas des chats, j'ai ensuite regardé son merveilleux Sur mes lèvres qui mériterait certainement une critique plus sérieuse, tant il m'a conquis également. Tous les ingrédients étaient encore là, ce n'était pas seulement un coup de génie, mais un véritable talent.
Me précipitant voir Un prophète le premier jour de sa sortie, avec pour seul raison le nom de Jacques Audiard en dessous du titre, et une affiche prometteuse, j'ai une nouvelle fois été conquis. Impressionné même, car cette fois-ci l'atmosphère, qu'il avait encore réussi à retranscrire avec brio, je la connaissais davantage que celle des films précédents, et je savais que c'est très rapidement casse-gueule comme genre de sujet, et de protagonistes. En effet, cette fois-ci point de personnages marginaux qu'on ne retrouve que dans les quartiers proches des gares, qui flirtent avec le banditisme, mais également avec notre monde plus paisible de gens ordinaires. Ici c'est les deux pieds dedans: la prison, contemporaine, en quasi huit-clos, avec tout ce qu'elle implique au niveau sociologique et psychologique. Et là encore, en évitant l'écueil de la caricature et du déjà-vu, une justesse, une justesse incroyable. Après réflexion, ce n'était pas si étonnant, car en choisissant Abdel Raouf Dafri comme scénariste, auteur de La Commune, une série sans prétention mais qui avait le mérite d'offrir un regard plutôt réaliste là encore de la banlieue française, il s'était bien entouré. Pour l'acteur principal, il avait d'ailleurs pris l'un des protagonistes de cette série, et c'était loin d'être une erreur de casting, quand on voit sur ce film la performance de Tahar Rahim, et le succès qu'il a aujourd'hui grâce à ce dernier.


Un peu déçu par De rouille et d'os, j'attendais donc tout de même Dheepan avec impatience. Le sujet avait en plus l'air intéressant, il y avait de quoi faire...
Et ben mon vieux, si je dis qu'il n'a pas été au niveau de mes espérances, ce serait presque me trahir, tellement cette formulation polie ne décrit pas la haine absolue que j'ai ressenti après avoir subit le dernier plan de ce navet imbécile et minable.
Je me suis senti un peu comme si... comme si Doc Gynéco avait décidé de soutenir Sarkozy, ou même qu'Akhenaton avait décidé de faire une pub pour Coca-Cola, vous voyez le genre. Oui, j'ai ressenti cette projection comme une véritable trahison. Comment, dans tous ces autres films, a-t-il su dépeindre avec autant de justesse et de pudeur, des personnages somme toute pas toujours recommandables, mais en leur donnant une réelle force d'attirance -ou d'attirance-répulsion- pour finir par nous pondre cette farce d'une bêtise crasse?
On assiste donc ici à un retournement presque parfait, tant la sensibilité et la crédibilité de cette histoire sont ici totalement absentes, et ne laissent place qu'à une trame affreusement banale dans ses platitudes, et complètement grotesque dans ces péripéties. Rien ne tient debout. Les jeunes de banlieue donc, car ce sont bel et bien les Méchants de l'histoire, avec un grand M, sont totalement absents du film en tant que personnages, et ne font partie que de l'entité "méchants", comme dans un blockbusteur américain idiot, empreint du manichéisme qui caractérise les rednecks du Texas visés par les producteurs californiens.
Le seul vrai personnage est le soit-disant chef de gang, qui aurait été à peu près crédible en tant que "shouf" (guetteur) mais qui se retrouve ici propulsé à une place dont il n'a ni les épaules, physiquement, ni le charisme. On croirait presque à un troll, quand on se rappelle de toutes les "gueules" présentent dans les précédents films, comme les acolytes de Niels Aristrup dans le Prophète et qu'on voit ce jeune minot avec ses airs vaguement badboy...
Un autre détail, mais qui parle tout de même, le personnage d'un vieux, qui est censé être une "nourrice" (quelqu'un qui garde la drogue dans son appartement, souvent sous la menace) et qui n'a même pas l'air vraiment vieux. Alors oui c'est un détail, peut-être qu'on s'en fout un peu, mais pour un réalisateur qu'on admire pour son hyper-réalisme, c'est tout de même un poil emmerdant.
Je ne parlerai même pas de l'histoire des deux protagonistes principaux, qui est totalement avortée pour moi, voire gâchée, tellement les ressorts psychologiques entre eux auraient pu être mieux exploités. Tout comme la relation entre la sri-lankaise et ce jeune chiot qui se prend pour un loup, qui ne sert absolument à rien au final, alors qu'on attendait au moins quelque chose de ce côté. Pour clore la chose en beauté, on a même le droit à une scène finale que je ne vais même pas qualifier, qui m'a quand même laissé éclater d'un rire nerveux tellement c'était too much. Et puis, comme si tout cela n'était pas suffisant, le dernier plan, suggestif, me donne d'un côté raison quand à mon procès d'intention, et de l'autre me laisse impuissant, tellement c'est juste nul, naze. Enfin, pour moi c'est un gâchis incroyable, mais passons...


Non, ce qui m'a poussé à écrire ce petit pamphlet, c'est la portée politique de ce film, renforcée par cette récompense à Cannes. C'est tout bonnement dégueulasse. On dirait ici, et sans exagérer, voir les délires intimes d'un Eric Zemmour ou d'un Alain Finkelkraut retranscris à l'écran. S'en est sidérant de simplicité, de facilité, et de raccourcis grand-guignolesques pour qui veut faire, de près ou de loin, un cinéma social et honnête.
Alors très bien, ce réalisateur talentueux mérite la Palme d'Or depuis des années, et on attend qu'il devienne gâteux et se renferme dans une idéologie réactionnaire nauséabonde pour lui donner. Il aura donc fallut qu'il nous dépeigne une banlieue tout droit sortie d'un "Enquête Exclusive" (je n'aurais sincèrement pas été plus surpris que cela de voir débarquer au milieu de ce merdier Bernard de la Villardière cheveux au vent) pour recevoir cette récompense, voilà.
Alors je me questionne. Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'est-ce que le jury a voulu signifier? Car quand on a donné la palme à Farenheit 9/11 ce n'était pas pour la beauté des plans, est-ce que c'est donc là aussi une palme politique? Si oui, c'est à gerber, si non, c'est décevant de la part de professionnels du cinéma de se planter à ce point.


Alors oui j'ai aimé le cinéma d'Audiard, j'ai même adoré, mais je vais donc cracher dans la soupe sans avoir honte, ce film est une daube et ce type est très certainement devenu l'odieux connard que certains ont décrit.


Alors, je vous assure, si vous avez la chance de ne pas encore l'avoir vu et que vous avez aimé les précédents, épargnez-vous le désarroi dans lequel je me suis retrouvé et restez sur de bons souvenirs.


PS: Va bien te faire foutre Jacques, toi et moi c'est fini.

Aquesiam
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le 10 nov. 2015

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