DIAMOND ISLAND (Davy Chou, CAM, 2016, 103min) :

Ce teen movie pop nous entraîne au Cambodge sur les traces du jeune Bora, garçon de 18ans qui quitte son village natal pour aller travailler à Phnom Penh « la Perle d’Asie » sur l’un des nombreux chantiers de constructions immobilières dressés sur l’île de Koh Pich surnommée Diamond Island, un paradis moderne pour les grosses fortunes, relié simplement à la capitale par un pont. Depuis 2012 par le biais d’un travail documentaire Le sommeil d’or narrant avec pertinence la disparition du cinéma au Cambodge à l’arrivée des Khmers Rouges, le réalisateur Davy Chou franco-cambodgien s’est fait connaître dans divers festivals. En 2014, il est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs avec son court-métrage Cambodia 2009 narrant l’histoire de de jeunes cambodgiens se retrouvant à Diamond Island. Fort de cette expérience le court métrage devient dès lors une fondation solide pour décliner les mêmes thèmes dans un premier long métrage fictionnel qui se retrouve chois à la Semaine de la Critique à Cannes 2016 où il remporte le distingué Prix SACD (Société des Auteurs et des Compositeurs Dramatiques). 28 décembre 2016, il débarque enfin sur nos écrans. La mise en scène séduit d’entrée de jeu par son découpage du cadre et son sens du rythme dévoilant par petites touches un jeune homme en train de quitter sa mère pour monter dans un véhicule l’emmenant à la ville pour travailler à l’édifice d’immeubles modernes. Tout au long du film ces touches impressionnistes et ce formalisme stylisé par ses plans larges et ses langoureux mouvements de caméra apportent une singularité à cette intrigue minimaliste assez sensorielle. Tour à tour on suit Bora le jour comme un esclave se tuer à la tâche pour ériger ces gigantesques constructions architecturales qui défient les lois de la gravité, et la nuit avec ces copains de chantiers venir s’offrir une part du rêve en arpentant les fêtes foraines, arpentent les rues sous les néons, parlent de filles et semblent trop timides pour aborder celles qui défilent jambes blanches devant eux à motos. Ces alternances de scènes démontrent petit à petit la mutation d’un pays passé des horreurs de Pol Pot à un libéralisme moderne les yeux tournés vers l’Occident, comme si la référence du bonheur était là. Faisant table rase du passé et de sa culture historique, des centaines de grues et des dizaines de chantiers, miroirs aux alouettes sortent du sol laissant le soin à sa jeunesse d’ériger le futur du pays sans que cette même jeunesse puisse avoir le loisir d’y goûter autrement que par les yeux. Une jeunesse payée aux lance-pierres travaillant de façon risquée (chute mortel d’immeuble) aimant comme les papillons venir se frotter aux lueurs de cette ville flottante, quitte à se brûler les ailes où à perdre son innocence. Par des choix photographiques pertinents, lumière très blanche le jour au milieu d’un chantier coloré et des lumières bleutées, guirlandes de néons électriques hypnotiques, phares des motos, tee-shirts chamarrés offrent une palette de couleurs flashy scintillante dans laquelle les protagonistes évoluent avec un certain spleen sensuel. L’intrigue s’avère assez réduite s’articulant principalement sur les retrouvailles par hasard de Bora avec son frère aîné parti 5 ans plus tôt sans plus donné de nouvelles semblant cacher quelque chose et dévoilant une vie de pacotille illusoire. Ici le récit n’est qu’un prétexte pour nous faire sentir l’essence des âmes, où chaque rencontre permet au jeune garçon une initiation à devenir adulte une confrontation entre l’ivresse de la nuit et la dureté du jour confronte la quête de l’amour et du vivre ailleurs à la dure réalité du libéralisme sauvage qui laisse à la porte ceux qui fondent ce paradisiaque centre commercial, symbole central du film et du boom économique de cet état d’Asie du Sud-Est. Le réalisateur par ces touches impressionnistes urbaines, nous emporte comme dans une danse dont nous ne sommes pas le cavalier, et fait valser nos émotions mélancoliques avec bonheur. Une ode à la jeunesse d’une lucidité et d’une tendresse particulièrement attachantes, chaque scène sonne juste dans le ton et par leurs situations. Depuis 1988 par le biais de Richard Bohringer nous partageons ce constat magnifique « C’est beau une ville la nuit », Davy Chou le met en pratique avec élégance conviant aussi avec ses errances nocturnes ces collègues cinéastes Hou Hsiao-hsien et Jia Zhang-ke et renvoie également à Rusty James (1983) de Francis Ford Coppola mais avec une singularité onirique envoûtante. La partition musicale électro et orchestrale enveloppe de façon très agréable ces balades nocturnes et ces adulescents bien décidés à prendre le destin en main. Pour conter ces destins individuels, Davy Chou s’est entouré de jeunes acteurs non professionnels donnant une vérité intéressante à leur jeu. Une œuvre lente comme indolente dont il faut aimer se laisser porter pour en apprécier tout son prisme et son parfum de paradis artificiel. Venez-vous languir auprès de ces ados qui aspirent à vivre aussi sur Diamond Island. Délicat, enivrant et esthétique.

seb2046
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le 7 juin 2022

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