"Dias de campo" (Journées à la campagne) : le retour de Raoul Ruiz au Chili, son pays natal.

Dias de campo

Film de Raoul Ruiz (2004)

Avec Marcial Edwards, Mario Montilles, Bélgica Castro, Ignacio Agüero

Dès le générique de "Dias de campo" (Journées à la campagne), un parfum inhabituel plane sur ce film de Raoul Ruiz sorti en 2004. De longs plans de nature accompagnés par une musique délicate, dressent un tableau nostalgique. On se dit alors que "Dias de campo" va emprunter des chemins différents de l'univers cinématographique vertigineux de Ruiz.

Deux hommes âgés, assis face à face dans un café, évoquant le passé : rien de tel pour confirmer une veine nostalgique, voire mélancolique. L'esthétique visuelle mise en oeuvre dans cet échange, comparé aux expérimentations habituelles de Ruiz, paraît très sage, à la limite du téléfilm des années 70. Ruiz est retourné au Chili, son pays natal, pour filmer cette fiction, et il semble alors avancer de manière feutrée, comme si l'apparent adoucissement de ses audaces formelles se calait sur le rythme de ces deux vieux.

Mais voilà : Ruiz, c'est Ruiz, et l'on découvre très vite que ces deux hommes ne sont pas ce qu'on croyait. Ruiz ne peut se contenter d'une banale évocation du passé. De manière subtile, non heurtée, "Dias de campo" déjoue toute linéarité, les simples allers-retours entre passé et présent, pour tisser une fiction complexe autour de l'écriture. Dédoublement des corps, télescopage des temporalités, sentiment entêtant que des fantômes rodent : la panoplie habituelle du cinéaste est bien là, mais déroulée avec une délicatesse peu rencontrée jusque-là, sans heurts ni virtuosité.

On trouve dans "Dias de campo", une magnifique séquence : en pleine campagne, deux danseurs exécutent une danse locale, élégante, munis d'un mouchoir qu'ils bougent au fur et à mesure. Ce moment magique, loin d'être un simple décrochage narratif, marque l'empreinte lyrique du film.

Au coeur de " Dias de campo" est développée la figure de Paulita, la domestique âgée de Don Fédérico. Ce très beau personnage n'est pas sans évoquer la Céleste de Proust, et ajoute une sensibilité particulière au film. Avec sa façon de réorganiser son rapport au réel (un subterfuge autour de l'absence de son fils), elle s'insère naturellement dans l'univers ruizien.

A lire aussi, un hommage à Raoul Ruiz :

http://passagedesimages.blog.lemonde.fr/2012/01/page/2/
JumGeo
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le 8 juil. 2012

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