"T'as du clitoris, toi, j'aime bien !"

En 1995, Mathieu Kassovitz réalise La Haine, film hors du commun sur les banlieues (en fait non pas vraiment mais bon...) propulsant ses trois acteurs principaux en icônes, Vincent Cassel en tête. En 2004, il y a eu L'esquive d'Abdellatif Kechiche, une fable sur des ados qui découvrent Marivaux dans les banlieues. Dix ans plus tard, c'est Céline Sciamma qui s'attache au film de banlieues (devenu un genre à part entière) avec Bande de filles, sur la transformation de Marieme en Victoire, accompagnée par un gang de filles du quartier. Et, empruntant à ses trois prédécesseurs mais tout en se forgeant une identité propre, il y a Divines. Caméra d'Or de Cannes 2016, ce film (premier long-métrage d'Houda Benyamina) raconte l'histoire peu commune de Dounia, jeune "bâtarde" de cité, et de sa meilleure amie Maïmouna, deux adolescentes qui sont prêtes à tout pour se faire de la Money, money, money !. Dounia se fait virer de son BEP, zone dans sa cité et cherche à se faire embaucher par Rebecca, la dealeuse du quartier, la sorte de boss de la cité. Si ce ne sont que des petits boulots au départ, c'est ensuite en dealant réellement que Dounia commencera à ressentir le plaisir grisant que procure cet argent facile. Pendant ce temps, les deux amies aiment s'installer au dessus de la salle de danse pour observer les auditions des danseurs. Là, l'impensable se produit : la carapace de Dounia tombe en ruines et elle tombe éperdument amoureuse d'un beau danseur, Djigui. Les choses se compliquent.


Si ce film marque fortement les esprits, et ce, dès la sortie de la salle, c'est car il oscille entre tous les genres possibles et imaginables : du film d'action au film sur la cité, de la comédie de moeurs à la romance, du film de danse au pseudo-documentaire, bref, tout est mélangé. On rit, on pleure, on veut entrer dans l'écran tant l'histoire nous prend aux tripes et c'est absolument fabuleux. Houda Benyamina sait manier sa caméra, et elle ose (c'est souvent le grand avantage d'un premier film) associer des couleurs inhabituelles : jamais on n'a vu un film oscillant autant entre lumière dorée et sensuelle et couleurs brutes et grisâtres d'un bidonville. Elle place une bande-originale extrêmement actuelle, entre musique classique (le Lacrymosa de Mozart est absolument - c'est le cas de le dire - divin) et rap (Enemy de Siboy est très bien choisi). Mention spéciale au générique de début, où tous les noms de l'équipe sont écrits sur des vidéos de format Snapchat, ce qui permet de planter le décor d'une génération ultra-connectée prête à dealer pour la money qui apportera "l'iphone 6 plus".


Houda Benyamina fait un film de femmes. Il ne faut pas le nier, mais nous sommes dans un monde où il faut malheureusement encore le préciser. C'est Scarface au féminin, et c'est Rebecca la grande boss, la patronne, celle qui, au lieu de dire "t'as des couilles toi!", féminise la locution en disant "t'as du clitoris, toi!". Dans ce film de femmes, Houda Benyamina créé des personnages hauts en couleurs : il y a Rebecca, la grande dealeuse, il y a Samir, le soumis à Rebecca. Il y a Djigui, le danseur beau comme un dieu qui veut épater Dounia. Il y a la mère de Dounia, mère démissionnaire et alcoolique qui joue à l'adolescente. Il y a Maïmouna, fille d'imam et un peu flippée qui pense que Dieu observe ses enfants. Mais le personnage de Dounia est celui qui secoue le film. Dès la première scène forte de Dounia, celle où elle se rebelle contre sa prof, on comprend que la "bâtarde" n'en est pas une, mais qu'elle est réellement forte, et qu'elle a un vrai nom : "je m'appelle Dounia".


Le plaisir qu'a un cinéphile de voir des étoiles, des comédiennes naître est incommensurable. J'ai découvert Adèle Exarchopoulos dans La Vie d'Adèle, j'ai vu Marilyn Lima dans Bang Gang. Dans Divines, parmi les trois actrices principales qui jouent parfaitement bien, il y en a une qui se détache : Oulaya Amamra. Il faut retenir son nom. Petite soeur de la réalisatrice, la première réaction de Houda quand Oulaya a postulé pour jouer Dounia était "non". Oulaya trop douce, Oulaya trop danse classique, Oulaya pas assez "jogging-queue de cheval. Oulaya a donc changé. Elle s'est complètement travestie, et a trouvé l'esprit de Dounia. Dès lors, une étoile est née, et une grande actrice crève l'écran. Elle pleure, elle rit, elle tombe amoureuse, elle danse sensiblement, sensuellement et animalement, elle se bat contre des gens et contre elle-même, elle prie, elle change et elle grandit.


Divines est donc un film superbe, intéressant et éclatant. Je ne m'étonnerai pas si la jeune Oulaya Amamra décroche un César en février prochain, ni si Houda Amamra décroche le César du premier film, qui serait bien mérité.

CFournier
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le 2 oct. 2016

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Coline Fournier

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