Dix personnes sont invitées à passer un week-end sur une île déserte par un mystérieux personnage dont ils ne savent rien. Mais lorsque celui-ci s’amuse à remuer le passé trouble de chacun d’entre eux, ils comprennent qu’il a l’intention de faire justice pour des crimes impunis, et que peu d’entre eux passeront le week-end…


Indéniablement, René Clair a du génie. Pas de ce génie spectaculaire qui animait le cinéma d'un Curtiz ou le génie humaniste d'un Wilder ou d'un Capra, mais simplement un génie de narration et de mise en scène. Qu’il fasse dans la pure comédie (Ma femme est une sorcière), tire vers le drame (La Beauté du diable) ou vers le policier, son cinéma porte toujours la marque du pur, du grand divertissement.
Avec Dix Petits Indiens, il s’adjoint les services d’un autre génie, celui du célèbre auteur Agatha Christie, et de son non moins célèbre roman Dix Petits Nègres. Si l’on remarquera que le petit démon du politiquement correct est venu hanter le titre, il n’est pas le seul à édulcorer le roman d’Agatha Christie, puisque le scénario de Dudley Nichols change la fin originelle pour mettre en place un happy end. Ce dernier n’a toutefois rien d’artificiel et on peut compter sur le talent de Nichols (qui a écrit quelques chefs-d’œuvre comme La Chevauchée fantastique de John Ford, L’Impossible Monsieur Bébé d’Howard Hawks, Les Cloches de Sainte-Marie de Leo McCarey) pour le faire intelligemment, et au lieu d’en faire un rapiéçage lourd, ce changement apparaît plus comme une facétie de plus à ajouter à la galerie de René Clair, dont la malice habituelle trouve un terrain de jeu idéal ici.


De fait, son sens affûté de la mise en scène et son légendaire souci du détail scotchent le spectateur à l’écran, tant il serait dommage de perdre une miette du spectacle qui nous est proposé, la caméra exploitant à merveille le décor, la profondeur de champ et les hors-champ, les ombres et les lumières pour créer une atmosphère unique, tandis que les acteurs s’en donnent à cœur joie pour faire exister des personnages typés toujours attachants. A ce titre, la scène introductive illustre à merveille l’apport du cinéaste au support adapté : en une brève (mais hilarante) pantomime, le cinéaste nous présente les différents traits caractéristiques des personnages sans un mot, simplement en instaurant un lien direct entre sa caméra et ses acteurs, ce qui permet aux spectateurs de s’attacher immédiatement aux personnages en quelques plans bien sentis.
Mais si le style vif et pétillant du réalisateur s’immisce dans le roman de Christie, sans nul doute un de ses plus sombres, le réalisateur ne fait jamais l’impasse pour autant sur l’atmosphère angoissante et poisseuse qui se dégage du matériau original. En effet, les dialogues ciselés de Nichols n’entravent jamais une gravité bien présente, et perceptible à travers l’angoissante monté d’une paranoïa qui gagne peu à peu les personnages et leurs spectateurs. En cela, René Clair se montre un digne rival d’Hitchcock, tant la tension qu’il instaure dans son film s’avère d’une redoutable efficacité, la menace pouvant surgir de partout, à chaque instant.
Ainsi, dans la lignée du Clouzot de L’Assassin habite au 21, René Clair nous offre une nouvelle pépite du cinéma policier, que l’on gagnera à voir et revoir sans trop de modération à une époque où le cinéma hollywoodien peine à se renouveler.

Tonto
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le 29 avr. 2019

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Tonto

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