Revu pour la seconde fois ce film absolument immense, peut-être l'un deux meilleurs Tarantino de tous les temps. C'est un film absolument incroyable.
Dans sa construction, le film, composite, hybride, riche, varié et ouvert, est d'une intelligence et d'une précision rares. La première partie, longue errance dans une Amérique brumeuse et hantée par l'inhumanité et la bêtise crasse de l'esclavage, est bien ce que le cinéma, de son auteur, mais aussi le cinéma américain tout court, a pu offrir de plus beau, de plus pur et de plus libre depuis bien longtemps. On parle de Django comme d'un film militant, dénonçant le passé trouble d'un pays construit dans la douleur et le sang. Il l'est, à bien des égards, mais sa beauté la plus profonde est de ne rentrer dans le vif du sujet qu'au début de la deuxième heure. La première heure ne raconte rien d'autre que l'histoire d'une amitié qui se forme. C'est en ce sens que le personnage du génial Christoph Waltz en devient le héros : l’ambiguïté frappante de sa fonction au tout début, est vite balayée par la naissance d'une amitité qui va tout dépasser (il est le maître de la vie de Django, mais choisira de l'aider à sauver sa femme disparue). Tarantino fait le contraire du cinéma actuel : partir enfermé dans son pitch et ouvrir le champs vaste des possibilité. Au lieu de suivre ce schéma, il ouvre son film de la manière la plus ouverte possible, mimant l'absence de but et d’intérêt spectaculaire (deux scènes se répètent, la mise à mort du shérif, puis des Brittles) pour diriger le film vers une voie plus mécanique : faire de ce Django, homme désemparé, être humain, un véritable personnage de cinéma.
Django Unchained est un film de mise en scène, et sans doute plus que cela, un film sur l'acteur, celui qui joue, celui qui mime, celui qui incarne. Chaque personnage, grossit dans ses traits, joue son rôle pour parvenir à ses fins. Ainsi, la longue scène du repas (passage obligé au sein du cinéma de Tarantino, celui du déchaînement de violence derrière un vaste champs de dialogue) devient la métaphore d'un plateau de cinéma, alors que derrière la caméra, tout se joue et se déjoue.
Ce regard sur l'acteur n'est pas inconscient mais inhérent à l'analyse du film. Jouer, jouer à en perdre haleine, jouer jusqu'à l'implosion, c'est surtout joue avec sa vie. Soudain sur le fil, la situation avance, recule, se gorge d'une violence concentrée puis se relâche, puis non : c'est tout simplement la mise en abyme du film lui-même, dans son intégralité. C'est pour cela que Tarantino fait de cette scène la scène centrale, laissant un morceau de film au début et un morceau à la fin, au lieu d'en faire la seule et unique partie. Cette scène prépare la portée mythologique finale. Ainsi le film opère une étrange déconstruction : commençant dans le cinéma pur, western impeccable dans la pure tradition (la première heure) ; déviant vers une passionnante mise en abyme ; pour terminer dans un étrange entre-deux, oscillant entre la continuation de cette réflexion sur le cinéma (fixant son personnage devenir un héros) et la jouissance pure de ce qui se déroule à l'écran. En ce sens que Django Unchained, s'il n'a que faire de l'évolution humaine de ses personnages, n'oublie jamais de capter dans leur regard le reflet de la caméra.
L'idée plus rare mais merveilleuse dans le cinéma de Tarantino, c'est de placer cette portée mythologique du film après le climax attendu. Comme si il fallait qu'un autre film commence pour que Django devienne ce qu'il est écrit qu'il soit dans notre imagination à la fin du film. C'est en ce sens que le film est tant désespéré. Le sort de l'amour entre Django et sa femme ne sera dans un premier lieu pas réglé dans le sang, mais dans des papiers, écrits administratifs improbables. Pour basculer dans cette dernière partie, le cinéaste opère une pirouette scénaristique terriblement improbable, alors qu'il aurait pu se passer de ce paroxysme de violence écrit. C'est toute la complexité d'un film qui aime se compliquer la tâche, pour lequel s'amuser à démêler les si fins fils de son scénario et sa mise en scène devient vite le plus grand des plaisirs. Ainsi, Django Unchained va, libre, se fichant des représailles, l'idée ancré en lui de viser une sorte de cinéma total, embrassant fond et forme avec la même énergie et intelligence. C'est à la fois, un film cérébral et physique, âpre et jouissif, qui se déguste avec le sourire aux lèvres et la crainte irrémédiable de la scène qui arrive tant on la devine cruelle. Sur le fil, entre-deux, entre la fou-rire et les larmes, entre la vie la mort ; dressant le constat déchirant du monde qu'il regarde, où tuer pour vivre et pour aimer est la seule solution. Alors, Quentin Tarantino, l'air grave, filme, dans ses déchaînements les plus sombres et les plus noirs, une violence qui n'a plus rien de drôle. Et c'est bien là, simplement là, son plus bel accomplissement