J’espère que « Django Unchained » représente la fin d’un cycle dans la carrière de son réalisateur, à savoir celui de la vengeance pop, potache et cartoonesque. Surtout, la fin d’un mélange de genres parfois bien étrange et déroutant et pas toujours maîtrisé, entre divertissements régressifs et ultraviolents et films d’auteurs à la Ophuls avec ses longues scènes d’intérieur ultradialoguées et pseudo-intellectualisantes.

J’ai lu ici et là que « Django Unchained » était le film de la maturité pour Tarantino.

Faux, le film de la maturité, Tarantino le réalisait en 1997, et c’était « Jackie Brown », alors certes l’histoire de base n’était pas de lui, mais tirée d’un roman du brillant Elmore Leonard, mais le film représentait l’évolution logique des films excessifs et baroques qui précédaient.
Dans Jackie, les gangsters de Reservoir et de Pulp, avaient pris un méchant coup de vieux (cf la prestation magistrale de de niro) et étaient assez pathétiques.

Surtout le film était profondément humain en balayant pour de bon toutes les scories, tous les tics de mise en scène chic et choc qu’on lui reprochait jusqu’alors et qui ont engendré chez certains collègues cinéastes tarés en mal d’inspiration une horde de films monstrueux (cf Guy Ritchie).
C’est peut être pour ça d’ailleurs, parce qu’il était justement un film de maturité, plus posé, plus subtil, plus modeste et non moins talentueux, qu’il n’a pas connu le succès escompté.

Et finalement dans les années 2000, Tarantino change complètement de style, du grand sage qui ménage ses effets, maîtrise l’espace et ses dialogues, tout en gardant le sens du rythme, on découvre un ado attardé prépubère révolté qui assomme son spectateur en lui assénant dans la tronche 350 références même pas déguisées à la minute, des dialogues pompiers interminables (cf la fin de Kill Bill 2 et son monologue débile sur Clark Kent/superman digne d’un geek boutonneux inculte) et autoparodiques, et surtout des scénars complètement indigents : Kill Bill, et Boulevard de la Mort, deux purges innommables.

Le pire était à prévoir avec « Inglourious Basterds », et ses premières images et bandes-annonces : le même délire cartoonesque attardé de Kill Bill appliqué à la seconde guerre mondiale, avec un Hitler grotesque marchant sur une table, et une bande d’autistes dirigés par Brad Pitt qui allaient casser du nazi… Mouais bof…
Et pourtant à la découverte du film, j’ai dû ravaler mon chapeau, en plus de me planter totalement dans mes préjugés, le film bien que perfectible était comme au bon vieux temps, bourré de trouvailles, d’inventions, de scènes mythiques et donc signait un véritable retour en force de Quentin.

Et surtout, il révélait quelques acteurs de talent : Denis Ménochet côté français (vaste barbu au look Léonidas de 300), le terrifiant Auguste Diehl, le classieux Michael Fassbender, le démentiel Til Schweiger (déjà mémorable dans Judas Kiss) et un obscur acteur repêché de feuilletons télés bavarois façon Derrick (le génie Christoph Waltz). Bon on ne peut pas avoir bon partout, il y avait aussi quelques ratés, notamment Mélanie Laurent (pas si nulle dans le film cela dit, un peu quand même), et surtout le calamiteux Jacky Ido (jouer plus faux étant probablement impossible).

Après un oscar et un prix d’interprétation à Cannes, Waltz retrouve un Quentin plus inspiré que jamais pour le plus grand plaisir des cinéphiles et des fans dont je fais partie (parce que même si je n'aime pas les derniers films du bonhomme, je reste fan), pour le western dont nous rêvions tous.

Le summum du western spaghetti, la conclusion ultime du genre avait déjà été rendue en 1973 par Tonino Valerii et Sergio Leone avec le sublime et nostalgique « Mon nom est personne », il est impossible de concourir avec Leone, il a déjà tout dit, tout fait, il n’y a rien à rajouter, Tarantino le sait très bien et c’est pour cela qu’il s’attaque à un autre type de spaghetti, la bonne vieille série B italienne et forcément son éminent représentant Corbucci (A noter que dans son scenar, Django s’inspire très largement de l’histoire de « Boss Nigger » de Jack Arnold, film de Blaxxploitation qui raconte les tribulations de deux chasseurs de prime…). Bref des films pas géniaux, mais suffisamment sympas et créatifs pour pouvoir en tirer quelque chose d’intéressant.

À mon sens, « Django Unchained » n’est pas le western ultime que l’on aurait pu attendre de la part de Tarantino, mais il reste un très bon film, hyper généreux et enthousiaste et c’est déjà suffisant pour combler le bonheur du spectateur lambda ou du cinéphile averti. En fait le film ne décolle jamais totalement, et n’apporte pas grand-chose de neuf, là où Inglourious dans un genre tout à fait similaire (la réécriture de l’histoire) réinventait en permanence.

J’ai adoré la première partie du film, parce qu’elle m’a rappelé les meilleurs BD de Blueberry de feux Charlier & Giraud, une véritable aventure hyper kiffante, enthousiasmante, dépaysante et excessivement drôle, et avec pour le coup de véritables trouvailles (cf la carriole avec sa molaire sur ressorts, les premières scènes hallucinantes dans une ville du far west boueuse admirablement bien reconstituée).

Des personnages attachants, où Waltz fait du Waltz comme d’habitude (que ce soit dans Inglourious, dans Carnage, dans Django ou dans tous ses autres films, il a toujours les mêmes mimiques, les mêmes temps de pause, le même sourire vicelard et juvénile) et pourtant il est génial.
Mention spéciale à un revenant, le mythique Don Johnson de Miami Vice et de Hot Spot, absolument hilarant en beauf de 1ère catégorie.

En parlant de beauf, le portrait de l’Amérique par Tarantino est terrifiant de dérision, il nous présente un pays rempli de culs-terreux totalement incultes, crétins et à côté de leurs pompes (le summum de la connerie est pourtant à réserver pour le personnage de Calvin Candie parvenant à cumuler bêtise absolue et prétention).

La seconde partie du film est réservée à Calvin Candie et son domaine Candieland, et les longueurs commencent à se faire sentir.
D’abord la séquence de l’accompagnement du convoi de Calvin Candie (admirable Léo DiCaprio) dans sa plantation jusqu’à son manoir, est interminable, bien que l’effet voulu ne soit pas con.

Tarantino à mon sens essaye de nous montrer que l’on rentre petit à petit dans un monde de plus en plus obscur, de plus en plus sauvage, de plus en plus dingue et flippant où personne de toute manière ne ressortira vivant, un peu façon Apocalypse Now en fait.
Mais on retrouve là les gros défauts de Tarantino, à savoir des bavardages interminables, et des démonstrations permanentes hyper vaines.

Allez, en fait au bout d’un moment ce qui me gêne, c’est que les personnages de Tarantino ici finissent par disparaître peu à peu, pour n’être plus que des pantins. Quand ils parlent ils ne s’expriment plus par eux-mêmes, ils relayent la parole de Tarantino himself.

Il y a dans cette théâtralité verbeuse une forme d’artifice criard, là où dans les œuvres précédentes (Reservoir, Pulp, Jackie, et même marginalement Inglourious), ses personnages avaient une véritable identité, ne se résumaient pas qu’à de vulgaires figures archétypales, et pouvaient à tout moment changer le cours de l’histoire par leur propre comportement (cf la scène mythique de Bruce Willis à la recherche de sa montre, j’ai rarement ressenti un tel libre arbitre chez un personnage de cinéma).

Il y avait cette idée que les personnages vivaient véritablement par eux-mêmes, s’émancipaient de leur créateur.
Aujourd’hui avec Tarantino, je trouve qu’on a un peu perdu ce côté-là, les dialogues sont tout sauf naturels (et en même temps je pense que Tarantino s’en fout complètement), ils sont très démonstratifs, très écrits (trop !), Tarantino bavarde unilatéralement avec le public, et parfois c’est quand même assez gonflant.

Pire, Tarantino semble parfois s’enfermer dans des schémas classiques et hyper connus, c’est peut-être d’ailleurs pour ça que Django n’emporte pas un enthousiasme définitif, il n’est pas imprévisible, la scène où Candie disserte sur la condition des noirs avec son crâne est admirablement écrite et mise en scène, la tension est palpable, summum du climax, et pourtant cette mécanique on l’a déjà vu maintes et maintes fois, chez Tarantino lui-même.

Il faut se rappeler notamment un monologue similaire dans True Romance absolument inoubliable avec Chris Walken dans la même posture que Candie – face à Dennis Hopper - sur la Sicile et les noirs.

Ou même dans inglourious et la scène de la taverne (pour le coup géniale et nouvelle), avec une montée en puissance progressive, une succession de faux-semblants et de jeux de dupe qui au fur et à mesure vont se révéler au grand jour pour débouler dans un bain de sang.

Tarantino s’auto-singe quelque part sans apporter réellement de nouveauté ou de surprise.

Et puis, il y a cette fausse fin qui ne termine plus, avec même l’espace d’un moment la crainte d’être revenu au tout début du film, pour finalement se conclure sur un bouquet final pas hyper inspiré ni hyper nouveau.

Il y a quand même des idées sympas en écho à Inglourious notamment, l’usage des langues absolument délicieux (il faut d’ailleurs proscrire la VF qui est un scandale tant elle dénature le film en le transformant de façon absurde, et nécessairement en faisant disparaître toutes les références à la France et à sa langue) et drôle, l’allemand notamment.

Bref la question reste entière, Tarantino n’est-il pas en train, tranquillement mais sûrement, de commencer à tourner en rond ?
A voir pour ses prochains films, « Django Unchained » reste néanmoins un divertissement sacrément sympa à suivre.

Créée

le 25 mars 2013

Modifiée

le 25 mars 2013

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KingRabbit

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