[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]


J'ai compris Dogman moins comme l'histoire de Marcello le gentil toiletteur de chiens (Marcello Fonte) que celle de Simoncino (Edoardo Pesce), le caïd du quartier (une ancienne zone industrielle côtière qui ne s'en est pas remise, quelque part au fond de l'Italie), à travers le point de vue du premier. Le film commence en effet par la sortie de prison de Simoncino et finit par sa mort. Celui-ci fait sa loi, seul mais avec ses gros bras. Les quelques conversations des locaux montrent que chacun subit Simoncino (qui casse des nez et des machines à sous), voudrait l'arrêter, mais n'a aucun moyen d'agir (porter plainte, c'est être sûr de subir des représailles quand Simoncino ressortira de prison). Le frêle Marcello est le plus bonne poire, celui qui se laisse marcher sur les pieds, et a en plus le malheur d'être le dealer local : Simoncino l'exploite d'autant plus.


Côté réalisation, j'ai bien aimé la manière de filmer le décor. Une photographie de grande qualité (ce qui souvent me laisse assez indifférent) et des cadrages assez larges qui montrent donc de manière esthétisante un paysage qui ne l'est visiblement pas, qu'il s'agisse du quartier délabré avec son manège en ruine, de la boutique poisseuse ou des toutous hirsutes. J'ai en revanche vite été lassé par un mouvement de caméra que le réalisateur Matteo Garrone utilise à de nombreuses reprise, notamment en début de film : cadrer en-dehors de l'action puis déplacer, lentement, la caméra jusqu'à celle-ci. Si cela est amusant une ou deux fois (quand on voit apparaître Marcello escaladant la gouttière), le plus souvent le cadre de départ n'apportait rien à celui d'arrivée.


Côté scénario, j'ai apprécié l'incertitude que conservent les événements à l'intérieur d'un cheminement classique. Je pense en particulier à la scène du commissariat (voir plus loin) et à celle de la « vengeance » de Marcello. Je vois qu'il est beaucoup question de vengeance, dans les commentaires sur le film aussi bien que dans sa propre communication, mais pour moi la vengeance qu'on aurait attendue tombe à l'eau. Marcello, moins gentil après un an de prison, tend un piège à Simoncino, et joue au bourreau psychopathe... jusqu'à ce que son prisonnier secoue assez sa cage pour s'échapper. Marcello perd toute contenance, il assomme Simoncino pour sauver sa peau, et c'est encore pour sauver sa peau qu'il le tue quelques minutes plus tard, après avoir pris le temps de le recoudre... Vengeance avortée, Marcello ne tient pas sa posture longtemps, reste humain, et c'est finalement sa maladresse qui conduit à l'accomplissement du « destin » de Simoncino évoqué par le quartier.
Quant aux chiens, j'ai trouvé ce qu'ils apportaient à l'histoire intéressant même si pas exceptionnel. Le parallèle entre les animaux et Simoncino est assez direct, il se renouvelle donc peu (jusqu'à, tout de même, la scène dans laquelle Simoncino se retrouve en cage). Voir Marcello toiletter des canidés de tous poils est cependant assez amusant !


Pour finir, j'aimerais évoquer deux scènes qui m'ont plu en particulier.
Dans la scène au commissariat, l'inspecteur de police pousse Marcello à dénoncer Simoncino, qui a braqué la boutique voisine de la sienne, en laissant des traces qui l'accablent. Tout le monde sait que Simoncino a fait le coup, même la police, mais sans confession, c'est Marcello qui passera en prison. Le dilemme est vraiment cornélien : Marcello accepte beaucoup de sacrifices par peur de Simoncino, mais un an de prison ? Pourtant, la promesse de la police, « nous te protégerons », sonne faux, et Marcello se laisse faire jusqu'au bout. J'ai ressenti à ce moment-là son déchirement, entre l'envie qu'il s'en sorte et la prise de conscience que se laisser accuser est le choix le plus prudent.
Cela le conduit d'ailleurs à perdre tout ce qui comptait pour lui, en particulier la considération de sa fille et la sympathie des habitants de son quartier, avec qui il jouait au foot le soir. Après avoir tué Simoncino, Marcello rêve qu'il entend les échos d'un match, il va fièrement présenter aux joueurs le cadavre qu'il a commencé à brûler... Mais personne ne l'entend crier, parce qu'il n'y a personne sur le terrain. Ce symbole, ces matchs, rudes et sous la pluie lorsqu'on les voit en début de film, mais incarnant ce qui est cher à Marcello, m'a touché et j'ai trouvé l'amertume du personnage particulièrement forte à ce moment-là.

Rometach
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le 22 mai 2018

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Rometach

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