Le monde se divise en trois catégories :


I. LES CHIENS


Il y a les domestiques, les dociles, ceux que l'on apprivoise, ceux qui supportent le collier de la laisse autour du cou, les ordres et le toilettage. Et il y a les enragés, ceux qui ne se contrôlent pas. Les uns comme les autres sont bêtes, innocents dans leur bêtise, prisonniers de leur nature bestiale. Les chiens mordent mais n'ont pas de conscience. Ils ne raisonnent pas. Instinctivement, ils attaquent, se défendent, obtiennent leur pitance par la force. Ce règne des pulsions est le fardeau de leur condition animale.


II. LES HOMMES


"Homme (nom masculin) : 1. Être appartenant à l'espèce animale mammifère de la famille des hominidés, seul représentant de son espèce (Homo sapiens), vivant en société, caractérisé par une intelligence développée et un langage articulé. 2. L'être humain, en général." L'homme, en tant qu'être doté d'humanité, de sentiments et de conscience, raisonne, aime, communique, aide, vit en harmonie avec son prochain selon les règles d'un pacte social. Ainsi l'homme n'est pas un chien. L'homme a des principes. Il est en voie d'extinction.


III. LES BÂTARDS


Race dominante du monde, cette espèce d'êtres mi-hommes mi-canidés est la pire des espèces ; conscients de leur animalité passagère, ils se complaisent dans leur violence contre autrui. Ce sont les hypocrites, les pervers, les profiteurs, ceux qui aboient mais qui n'agissent pas, ceux qui acceptent de vivre en cage mais se plaignent de cette vie qu'ils choisissent, ceux qui prennent du plaisir dans leurs pulsions, ceux qui ne raisonnent que par profit, ceux qui mordent par intérêt, et qui le savent, puisque leur morale est corrompue.


Marcè est le meilleur des hommes. Dans le néant humain qu'est cette banlieue grisâtre du Sud déshérité de l'Italie contemporaine, Marcè est même le dernier des hommes. Il aime profondément tous les êtres de ce bas-monde : les chiens qu'il chérit, les hommes qu'il respecte et qu'il lui arrive d'adorer. Pur et sensible, il est celui dont le comportement social altruiste réchauffe le cœur, en donnant autour de lui ce qu'il a de plus authentique : son sourire, ses services, son amour.


Simone est le pire des chiens. Nerveux, impulsif, abruti, inconscient, il est l'esclave de sa rage. Il n'a conscience ni du danger, ni de la douleur, ni de l'avenir, ni du passé. Ses sentiments sont nuls, inexistants. Sa capacité de réflexion a la taille d'un cure-dent. Sa raison est morte, impossible. Simone est bête, d'une bêtise déchirante, il est un chien errant et sauvage, complètement perdu.


Dogman c'est l'histoire de ces deux inadaptés sociaux au milieu d'une société de bâtards qui ne tolèrent ni la pureté et l'altruisme du meilleur des hommes, ni la sauvagerie et la violence du pire des chiens. Ces bâtards et leurs cages où ils se complaisent, et d'où ils toisent les autres avec mépris ; les cages que sont leur ignorance, leur magasin médiocre, leur banlieue maudite, des cages dans des cages, éternellement...


Marcè, le dernier des hommes, a aimé et dompté tous les chiens, les plus doux, les plus violents, les plus réticents, les plus malades ; son amour n'a pas de limite, jusqu'à ce qu'il rencontre Simone, le plus dur de tous, le plus meurtri et le plus farouche. Le chien Simone et sa bêtise tragique. Marcè, puisqu'il aime tous les chiens, tente à tout prix d'aider Simone : il le soigne, l'attendrit, le protège, mais l'usure de son corps et de ses moyens face à cette bête indomptable rend l'opération trop ardue. Jusqu'au seuil de la mort il emploie toutes ses forces pour chérir le pire des chiens, en vain.


Sur fond de critique sociale terrifiante sublimée par une esthétique de la décadence parfaitement maîtrisée, un jeu d'acteur glaçant et un registre pathétique palpable, Matteo Garrone conte une fable impitoyable et universelle, celle de l'oppression physique des forts sur les faibles, mais aussi celle de l'échec du dernier des hommes dans une société bâtarde, et de sa remise en question existentielle une fois anéantie son humanité : Marcè qui finit, comme les autres, homme-chien, Dog-man, réduit à l'inhumanité contre son gré, Marcè dont l'amour, à la fin, n'a pas triomphé.

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le 30 oct. 2018

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CineseMaietto

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