Avec une photo très belle, à la fois très contrastée dans ses couleurs et affichant un naturel lumineux, Garrone illustre avec efficacité un univers urbain plongé dans la précarité ou la misère grouillant d’une humanité qui tente tant bien que mal de survivre. Ne succombant jamais dans le misérabilisme, le quotidien de Marcello et de ses amis commerçants dévoilerait presque une joie de l’instantané, une soif de vivre modestement mais avec dignité. Pourtant, la dignité de Marcello va être broyé progressivement avec l’intervention de Simoncino. Il y a une vraie justesse à dresser non seulement le portrait de ces hommes mais également leur rapport. Chétif, Marcello n’en reste pas moins un père actif passionné par son métier. Simoncino, boule de fureur, en dehors de sa tyrannie, reste un fils à sa maman.


La violence va agir comme une maladie dans « Dogman ». Un mal sinueux qui va ébranler la bonté de Marcello. Le film montre comment il peut y avoir une escalade dans ce sentiment qui n’est jamais éloigné de la folie, de l’amertume ou de la tristesse. Battu, humilié, rejeté, Marcello subit une transformation mais qui ne profitera à personne. Pas question pour autant de traiter Marcello comme une pure victime. La mise en scène, sobre, catalysant les regards, choisissant de faire ressentir au lieu de montrer, exprime la fascination de Marcello pour alter-ego monstrueux. Marcello est-il un ancien criminel soumis à la loi du silence ? Espère-t-il tirer un profit de cette relation ? Beaucoup de questions qui se bousculent et qui alimentent cette tragédie complexe.


La figure du chien peut d’ailleurs avoir plusieurs interprétations : meilleur ami de l’Homme mais également dans le langage familier une personne bassement servile ou personne maltraitée et réduite à une domesticité honteuse. On retrouve bien ces aspects dans le film, la narration donnant aux chiens à plusieurs reprises un rôle symbolique dans un premier temps (le sauvetage du chien dans le congélateur) puis un rôle métaphorique dans l’acte final, montrant les regards canins comme des catalyseurs de moralité. Des êtres parfois délaissés comme Marcello, marginal qui sent qu’il n’a plus sa place dans un environnement qu’il a choyé. Une poésie désenchantée se dégagerait presque de certains plans, finissant de dévoiler le côté irréel cher à Garrone. La misère humaine qui touche l’Italie et d’autres pays n’a pas fini d’avaler des survivants fatigués.


Le récit est attentif à l’évolution de Marcello et sait se montrer subtile. Le réalisateur italien répudie cette fameuse vengeance bien avant ses conséquences. Il préfère se consacrer aux décisions de ce toiletteur pour chiens avec fatalité mais sans complaisance. Ce parfum de nihilisme se retrouve dans les derniers instants du film où jusqu’au bout Marcello tente de retrouver sa place. Le dernier plan ne fait cependant que livrer une révélation qui nous avait échappé depuis le temps : ce triste héros n’est qu’un fantôme dans un lieu en perdition. Au lieu de combattre ensemble, les habitants sont condamnés à être progressivement écartés par leur individualité. C’est à ce moment-là que le propos devient profondément politique. Violence, mythologie et politique, trois thèmes que « Dogman » scelle avec brio.


« Dogman » est un grand film qui marque par son odyssée intime pétrie de violence, de tristesse et de noirceur. Les zones les plus délabrées trouvent un écrin esthétique qui définit au mieux l’âme humaine à notre époque. Ce désespoir existentiel trouve paradoxalement des pulsions d’espoir (la fille de Marcello) qui ne s’abaissent pas au résignation sans fond. Encore une fois, malgré toutes les circonstances, l’Homme a le choix et doit se battre sans se perdre. Marcello, tour à tour victime, bourreau et sacrifié, révèle une humanité qui nous touche.

AdrienDoussot
7
Écrit par

Créée

le 19 oct. 2020

Critique lue 50 fois

Critique lue 50 fois

D'autres avis sur Dogman

Dogman
guyness
8

Echec et meute

L'être humain est, avant toute autre chose, un animal social. Mais comme il aime plus que tout se raconter de réconfortants mensonges, il fait tout ce qui est son pouvoir pour l'oublier, et feint de...

le 22 nov. 2018

52 j'aime

10

Dogman
Okilebo
8

Quelle vie de chien !

On ne peut pas le nier, depuis quelques années et malgré de nombreux prix et nominations, le cinéma italien se fait discret. Pourtant, je pense que le talent est toujours bien présent mais celui-ci...

le 8 janv. 2019

37 j'aime

38

Dogman
pphf
7

Chemin de croix

Un prologue en trompe-l’œil. Avec en gros plan, puis en très gros plan, la tête énorme et blanche d’un molosse, la gueule ouverte, des crocs terrifiants – et la peur qui va glacer le spectateur,...

Par

le 1 août 2018

36 j'aime

17

Du même critique

Portrait de la jeune fille en feu
AdrienDoussot
9

Critique de Portrait de la jeune fille en feu par Cinémascarade Baroque

D’une beauté formelle étourdissante, « Portrait de la jeune fille en feu » semble véritablement construit comme une succession de tableaux vivants. Une expression terriblement galvaudée, mais qui n’a...

le 17 oct. 2020

3 j'aime

Maternal
AdrienDoussot
9

Critique de Maternal par Cinémascarade Baroque

C'est une histoire belle et émouvante que nous raconte Maura Delpero. Issue du documentaire, la réalisatrice a voulu explorer les émotions contrastées de la maternité, de la foi, du désir ou encore...

le 16 oct. 2020

2 j'aime

Faute d'amour
AdrienDoussot
9

Critique de Faute d'amour par Cinémascarade Baroque

Un enfant caché dans le noir, les larmes ruisselant sur ses joues, la bouche béante, pétrifié par la dispute violente de ses parents et qui tente d’étouffer son cri de désespoir… Voilà une image...

le 20 oct. 2020

1 j'aime