Au vu des films sélectionnés à Cannes cette année, on peut difficilement nier que le cinéma roumain ne nous a pas épaté. Après un huis clos aussi interminable que formidable (Sieranevada de Cristi Puiu) et un drame familial immoral récompensé par un prix de la Mise en Scène (Baccalauréat de Cristian Mungiu), c'est au tour de Bogdan Mirică de nous offrir une vision brute de son pays. Concourant pour la Caméra d’Or, ce premier film du roumain Bogdan Mirica surprend par la radicalité de son sujet, le geste cinématographique maîtrisé et le regard nihiliste sur son pays natal. D'abord réalisateur de publicités, Bogdan Mirică s'est exclusivement tourné vers l'écriture de scénario après un séjour d'un an à Londres. Il en a tiré une expérience narrative enrichissante mais qui ne le comblait jamais dès lors qu'un autre réalisateur se chargeait de mettre en scène ses récits. Cette frustration lui a redonné l'envie de repasser derrière la caméra en signant Bora Bora, un court métrage récompensé du Grand Prix du Jury en 2011 au Festival d'Angers, puis en s'attelant à l'écriture de Dogs. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ces cinq années d'attente auront été bénéfique pour le cinéaste puisque la sélection du film à Un Certain regard a permis au cinéaste d'obtenir une visibilité et de bons retours critiques, faisant déjà de lui l'un des principaux nouveaux talents de la scène roumaine.


Le titre parle de lui-même. Les hommes sont des chiens. Ils se chamaillent, manquent d’éducation et n’ont que leur agressivité et leur détermination pour protéger leur territoire. Même la police agit comme des chiens (ce n’est pas un hasard si le chien du domaine familial se prénomme « Politia » (police en roumain)). Ils sont abandonnés par un pays qui ne croit plus en ces terres reculées et doivent composer avec les moyens du bord (une autopsie avec une fourchette et des gants Mapa) pour enquêter sur un pied retrouvé au milieu d’un étang. Cette primitivité chez les personnages du film n’en fait cependant pas des animaux incapables de penser par eux-mêmes car ils sont bien conscients de leur nature, mais ils ne peuvent que l’accepter sans se donner les moyens d’y remédier. Dans ce sens, le film pourrait sembler un peu trop démonstratif mais il faut reconnaître que Bogdan Mirica sait faire preuve de maîtrise lorsqu’il s’agit de manier la caméra et d’instaurer une tension implacable, de celles qui font scotcher à son siège. Le cinéaste représente le monde rural avec une dureté et une précarité qui participent au conditionnement de ces villageois sans morale condamnés à devenir des chiens où seuls les coups physiques comptent pour exister dans la hiérarchie sociale.


Revendiquant clairement Cormac McCarthy comme une de ses influences, il est difficile de ne pas voir dans Dogs une relecture roumaine (un remake?) de No Country for Old Men, déjà adapté en 2008 par les frères Coen. On y retrouve cette ruralité, ces vastes paysages abandonnés, cette mafia qui cherche à faire taire le type qui s’est retrouvé au mauvais moment, au mauvais endroit et qui devra se résoudre à s'adapter à la violence poisseuse des lieux. Cette dernière participe également à cette comparaison, Bodgan Mirica n’hésitant pas à être radical dans sa manière de faire exploser ses personnages dans des excès impulsifs incontrôlables. Le sens du cadre aiguisé, Dogs épate par la beauté des plans, la longueur hypnotisante des scènes ou la contemplation de ces paysages incultivables où seule la violence semble être fertile. Ainsi le premier long métrage de Bogdan Mirică dénonce un pays reculé, corrompu par l’abandon et la violence. Avec son cinéma de genre, on est loin du cinéma d’auteur aussi brillant que pesant des deux roumains de la compétition (Cristian Mungiu et Cristi Puiu) mais avec ce thriller aux allures de western, Dogs marque la première pierre d’un cinéaste qu’il faudra suivre avec la plus grande attention.


Critique à retrouver sur CSM, à l'occasion de notre séjour cannois.

Softon
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 9ème édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (2016)

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le 30 sept. 2016

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Kévin List

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