Présenté cette année à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, Dogs don’t wear pants ne sortira sans doute jamais en France où, à ce jour, aucune date de sortie n’est clairement envisagée. Dommage. Dommage parce qu’il est l’un des meilleurs films de 2019, le plus troublant, le plus intrigant, le plus barré aussi. Pour faire chic et pour faire choc, on pourra le résumer à une romance sadomaso finlandaise ce qui, évidemment, est à la fois trompeur et en partie vraie. Car Dogs don’t wear pants est surtout une histoire de deuil et de solitude, d’insoutenable gravité de l’être transfigurés par la pratique BDSM (l’étouffement en particulier, et la mutilation accessoirement).


Juha perd sa femme dans un accident de noyade. Lui-même, en cherchant à la sauver, manque de se noyer. Dans ce moment de semi-inconscience et de flottement où, entouré par les eaux, il est à deux doigts de mourir, Juha voit sa femme venir à lui et l’embrasser une dernière fois. Des années plus tard, toujours hanté par ce terrible événement et incapable de reprendre pied (dans son travail, dans la vie de tous les jours, dans l’éducation de sa fille…), il rencontre par hasard Mona, maîtresse SM avec laquelle il va s’offrir des sessions de suffocation pour tenter de revivre ce sentiment puissant. Cet instant précis de la perte de connaissance pour y sentir la présence tangible, y retrouver l’amour infini de sa femme.


C’est à travers cet abandon de soi, cette pulsion de mort telle une thérapie par l’extrême, que Juha va entreprendre un retour inespéré à la vie, embarquant Mona, elle-même en proie à une profonde mélancolie, dans cet étonnant (et éprouvant) voyage. Jukka-Pekka Valkeapää aborde ici un sujet plutôt casse-gueule (et ouvert à pas mal de sensationnalisme, mais évitant justement l’imagerie racoleuse du monde du SM comme avait su le faire Barbet Schroeder dans Maîtresse) avec beaucoup de douceur, et même beaucoup d’humour (et d’un peu de gore aussi lors de deux scènes particulièrement saignantes, mais se révélant un rien forcées, et avant tout inutiles).


Mona et Juha (Krista Kosonen et Pekka Strang, magnifiques) émeuvent dans leur détresse existentielle qu’ils s’efforceront de surmonter en s’aventurant, à l’instar des protagonistes de Crash ou de l’héroïne de Dans ma peau, hors des règles et des conventions, jusqu’à l’exacerbation de leurs limites, lui dans cette approche de la mort acceptée, elle dans cette volonté empathique de dominer. Love story mi-hardcore mi-cathartique, Dogs don’t wear pants sublime douleur et chagrin en un désir de renouveau qui, in fine, s’exprimera dans cette image de Juha souriant de (presque) toutes ses dents sous les stroboscopes d’un club fétichiste, à l’aise avec son harnais en cuir. La première nuit du reste de sa vie peut commencer.


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mymp
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le 11 déc. 2019

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