J'ai entendu parler de ce film par une amie, qui m'avait dit l'avoir beaucoup aimé. Ayant plutôt confiance en son jugement, je m'étais promis de le regarder, mais je ne l'ai fait que des mois plus tard. Je me rappelais qu'elle m'avait parlé du non-décor, et du malaise qu'elle avait ressenti devant l'évolution du comportement des villageois vis à vis de l'héroine. C'est donc m'attendant à un film intéressant, original, et dérangeant que j'ai regardé Dogville. Et j'ai été bluffé.

Au début, j'étais assez déstabilisée, par le fait que les bâtiments et une bonne partie du décor soient symbolisés par des traits à la craie. Puis assez vite, je n'y ai plus prêté attention : au contraire, c'est agréable, car ce choix de mise en scène fait que l'on peut voir simultanément les actions de plusieurs personnages. De plus - c'est du moins mon impression – cela donne à l'environnement une dimension de plateau de jeu, comme une sorte de marelle, ce qui correspond bien à l'espèce de jeu malsain auquel jouent les villageois et l'étrangère (Grace). Je ne sais pas si c'est voulu par Lars Von Trier, mais un des personnage (Tom) évoque à Grace cet aspect de jeu, au moment où elle doit se mettre au service des villageois pour qu'ils la protègent.

Le décor (ou ''non-décor') participe donc grandement à la dimension oppressante du film. Indépendamment de ça, j'ai beaucoup aimé le scénario et la manière dont sont amenés les changements de comportement des personnages. En effet, l'évolution se fait de manière progressive, et donc, crédible. A contrario, dans la Vague - autre film, bien que très différent, qui traite de l'apparition d'un effet de groupe dangereux - l'uniformisation et la modification des comportements des personnages se fait trop rapidement (en une semaine seulement!) et de manière assez caricaturale, ce qui fait que l'on n'y croit pas vraiment. On voit bien ici le fait que chaque villageois justifie ses actions par la peur (le risque pris en étant ''hors la loi'' se doit en effet d'être récompensé...), et encore le fait que chacun agisse de la même manière, ce qui légitimise même des conduites méprisantes et inhumaines. Ces changements d'attitudes vis à vis de Grace se font par étapes, selon les menaces des policiers, etc. D'un côté, un groupe : les habitants de Dogville, et de l'autre, une femme fugitive isolée, en position de faiblesse: Grace.

Ce qui est intéressant, c'est l'opposition qu'il y a tout le long du film, entre les agissement/réflexions des villageois, et ceux de Grace. Dès le début, sa survie dépend de leur bon vouloir. Ces derniers vont donc jouir de ce pouvoir, d'abord de manière condescendante, fiers d'avoir cette supériorité. Puis, petit à petit, ils vont en user avec un sadisme décomplexé, incarnant une humanité caractérisé par l'égoïsme et l'hypocrisie. Tandis que Grace, qui subit tout cela, ne montre quasi pas de colère ou de haine à l'égard de ses amis devenus tortionnaires. Elle fait même preuve d'une niaiserie et d'une compréhension excessive, presque irritante... Jusqu'au changement final. J'ai trouvé cette passivité de l'héroïne frustrante, et c'est en partie pour ça que le film m'a fasciné et tenu en haleine. On sent confusément qu'elle va ''exploser'', et on se demande jusqu'où les traitements des habitants iront avant d'atteindre un quelconque point de non retour.

J'appréhendais une fin que je n'arrivais pas à anticiper en ayant peur d'être déçue, et.. Ce ne fût pas le cas. Avec du recul, je trouve que le retournement de situation final redonne une humanité à Grace. Ce qui est paradoxal, et assez sombre, comme vision de l'homme. En effet, elle agit comme ses bourreaux, en se posant non plus en sainte, mais en humaine, et ressent des émotions profondément humaines et naturelles vu le contexte telles que la haine et le désir de vengeance.

Il y a certaines scènes qui m'ont marqué, comme certains personnages. Par exemple, Tom, dès le départ m'est apparu comme détestable, personnage imbu de lui même et donneur de leçon. Il semble plein de compassion mais quand il se rend compte que la jeune fille peut lui faire mettre en péril ses réflexions et ambitions philosophiques, se rallie à la meute. L'égoïsme triomphe. De la même manière, des personnages d'abord gentils, bons, retournent leur veste et agissent aussi salement que leurs comparses (par exemple, la scène dans le chariot de pommes).

Je ne vais pas m'étendre encore plus, et expliquer tous mes ressentis concernant ce film, mais il m'a laissé une forte impression, malgré le côté un peu moralisateur du réalisateur, qui semble dresser un portrait fataliste et très noir de l'humanité. Montrant que même monsieur tout le monde peut devenir totalement dénué d'empathie (voire sadique). Portrait pessimiste mais relativement réaliste, quand on pense à des expériences similaires comme celle de Milgram.
Mariemascia
8
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le 5 août 2014

Critique lue 246 fois

Mariemascia

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