Chacun de nous a de bonnes raisons d'aller s'enfermer un moment dans une salle obscure en immersion dans une vie qui n'est pas vraiment la sienne. L'essentiel est que nous retirions de ce moment si singulier un authentique plaisir, une sorte de repositionnement et une espèce de plénitude. Parfois le miracle ne s'accomplit pas. Parce que l'histoire ou la manière de la raconter ne permet pas cette immersion et l' identification qui en découle. Parce que simplement ce n'était pas le jour et même notre meilleure volonté empêche la magie d'opérer. Parfois le miracle est hors d'atteinte parce que le film n'est vraiment pas bon et flirte même avec l'échec ; cela peut arriver.
Je pense parfois à un bref dialogue dans "La Bonne Année" de Claude Lelouch, quand lors d'un dîner un convive bouffi de suffisance pose la question : « Comment faites-vous pour choisir un film ? », Lino Ventura répond à son interlocuteur : « Comme quand je choisis une femme, en prenant des risques ». J'en ai retenu que juger d'un film exige que nous acceptions une forme d'humilité et parfois de faire la part des choses. Ce qui ne signifie pas que l'heure est venue de baisser la garde et d'accepter n'importe quoi et de confondre vessie et lanterne.
Je suis allé voir "Donne-moi des ailes" de Nicolas Vanier. En parfaite connaissance de cause et sans en attendre ce que le film ne m'a d'ailleurs pas apporté. Conrad Lorenz avait étudié de près l'imprégnation connue depuis toujours par les éleveurs de volailles. Elle est un comportement d'attachement filial de l'individu jeune à l'égard d'une personne ou même d'un objet inerte avec lesquels il a été mis en contact dès sa naissance. En l'occurence ce sont des jeunes oies qui sont les vedettes du film.
Il ne s'agit pas d'un film éthologique ou écologique à proprement parlé mais de la mise en scène d'une aimable romance sur fond naturaliste dans de beaux paysages camarguais et norvégiens. "Donne-moi des ailes" est à l'image des paysages dans lesquels il est tourné, il est paisible, apaisant et d'un bel optimisme. Entre deux contrariétés ou pour nous permettre de prendre un peu de recul par rapport à une préoccupation devenue trop prégnante, il peut être un sas ou un moment de respiration salutaire.