Au-delà du simple long métrage de science-fiction qui apporte son lot d’originalité à une collection déjà pléthorique dans le genre, Donnie Darko nous saisit au sens littéral par son incroyable jeu sur le sens des mots : « fin du monde » ne désigne pas le concept apocalyptique de l’imaginaire collectif ; dans un registre plus léger « aller ensemble » lorsque Donnie veut sortir avec Gretchen etc… Ce n’est pas pour rien que Richard Kelly fait souvent appel par le truchement de ces personnages à la linguistique qui est l’étude précisément de la langue. L’expression « cellar door » réputée pour être phonétiquement l’un des plus beaux mots de la langue anglaise selon Tolkien est à ce titre révélateur de la portée du film. Un film puissant et habile qui joue avec le sens de la réalité qui elle-même ne peut être décrite que par des mots.


Si on va plus loin et ce faisant l’on rejoint les théories qui ont été les plus fréquemment invoquées dans l’analyse du film, ce jeu sur les mots est un indice du caractère instable de l’univers dans lequel évoluent les personnages après la chute du réacteur dans la chambre de Donnie. Cet événement a, en effet, engendré un déchirement dans le continuum espace-temps et un univers tangent au premier que l’on nommera « normal » par souci de compréhension s’est formé. C’est au sein de cette réalité alternative que se déroule la majeure partie du film au cours duquel nous serons témoins des hallucinations auditives et visuelles de Donnie. Un lapin géant plutôt sinistre, son ami imaginaire qui l’a sauvé du crash qui aurait dû le tuer dans la temporalité « normale », en est l’incarnation principale.


Mais s’agit-il des projections de l’esprit perturbé de Donnie par des troubles psychotiques et psychiques (il est diagnostiqué schizophrène paranoïde) ou est-ce que nous assistons à la manifestation extérieure d’éléments de l’autre univers normal qui viennent guider Donnie jusqu’à la rectification indispensable d’une situation qui ne peut durer ? C’est bien sur ce point que le film a suscité toutes les interrogations. Pour ma part, je penche pour la deuxième solution et plus exactement, si on veut extrapoler sur des phénomènes physiques dont la science n’a pas encore l’explication, ce sont des chocs entre les deux univers tangents (divergents diraient les scientifiques) qui provoqueraient ces troubles chez Donnie que ses semblables voient comme une névrose. Son ami Franck le pousserait alors à entreprendre une série d’événements (inondation de l’école, incendie de la maison du gourou du bonheur…) qui sèment le trouble dans la communauté dans l’unique but de rectifier la situation initiale.


Si on part de ce postulat, on peut considérer que le voyage dans le temps, thématique évidente du film, est l’unique solution pour pallier ce désordre. Il faut remonter la boucle et laisser l’événement qui devait arriver se produire. Dans la théorie de la relativité générale, le temps est une dimension comme une autre qui peut donc être sujet à des perturbations ou des modifications. Un des enseignants de Donald lui présente d’ailleurs une entité cosmologique qui fait couler beaucoup d'encre dans la littérature scientifique : le trou de ver capable de relier des points de l’espace extrêmement distants en une sorte de tunnel spatial et d’ainsi parcourir des distances phénoménales en un temps dérisoire (ce qui revient en somme à remonter ou avancer le temps). Les formes étranges et flasques qui sortent de la poitrine des personnes et que seul Donnie est capable de voir rappellent des tunnels qui représenteraient la destinée de chaque personne, une prédétermination du chemin que va suivre chaque individu sur le fil de son existence. On ne peut s’empêcher de penser alors à la thèse philosophique de l’existentialisme qui suppose que chaque personne constitue son essence par ses propres choix et est maître de ses actes. Ce serait donc l’approche inverse qui s’appliquerait dans cet univers divergent. Mais lorsque le retour dans le temps s’opère par un trou de ver vraisemblablement, c’est bien Donnie qui décide de rester dans sa chambre pour éviter la redondance des événements dramatiques qui l’avaient déjà vécu en quelque sorte . Il est maître de son choix donc il rompt avec la logique de prédétermination qui semble avoir prévalu jusqu'alors.


Toutefois, la réflexion reste ouverte et la démonstration à laquelle je viens de me livrer est tout à fait contestable. L’univers parallèle dont j’ai défini les contours peut très bien uniquement provenir d’une hallucination prolongée du personnage éponyme ou issu d'un de ses rêves : à la fin du film, tous les personnages liés peu ou prou à Donald se réveillent bien en sursaut à la suite d'un même cauchemar. Néanmoins, cette toute dernière hypothèse ferait perdre, à mon sens, de la force au film car tous les concepts de voyage dans le temps ou d’univers parallèles seraient relégués à un rang virtuel, fruits de l’imagination fertile d’un adolescent qui se cherche et qui « a peur ».


Je veux apporter un autre point de réflexion qui n’est pas forcément en lien avec le développement ci-dessus mais qui contribue au débat. Lorsque Darko préfère se sacrifier en restant dans son lit, le film prend une dimension quasi-religieuse et biblique. Il se sacrifie car il sait que son action dans son rêve ou dans l’univers parallèle (dont la création je le rappelle est liée à la modification d’un événement arbitraire dans le passé) entraînera la mort de tous les êtres qu’il aime : sa petite amie, sa mère, sa sœur et Franck qui n’est autre, on le découvre, que le petit ami de cette dernière. A la manière du Christ qui, dans la religion chrétienne, s’est sacrifié pour sauver les hommes, racheter leurs fautes et leurs pêchés et les préserver du pandémonium, Donnie meurt et met « fin » à son « monde » renvoyant à la double acception de l’expression initiale : la boucle semble bel et bien définitivement bouclée.


8,5/10

Bigben74d

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