Donnie Darko fait sans conteste partie de ces films valant deux visionnages : un premier où l’on se prend de plein fouet l’intégralité de sa verve « mindfuckesque », qui nous laisse pantois, et le second où l’on se prête mieux au jeu du décorticage en règle... mais souvent en vain. Pour autant, en synthétiser la forte singularité permet bien d’ébaucher quelques hypothèses, le scénario de Richard Kelly se prêtant parfaitement au petit jeu de la libre interprétation.
Il est d’ailleurs des plus tentants de se focaliser sur son enrobage lunaire à souhait, où le fantastique et la science-fiction ont tôt fait de s’accaparer notre attention : le prisme du voyage dans le temps prédomine alors, prédiction, compte à rebours et retour conclusif en structurant le déroulé d’un bout à l’autre. Donnie Darko, de par sa fameuse atmosphère haut-perchée, aux confins du dérangeant et du saugrenu, se veut donc savamment fascinant dans son exécution : entre séquences fantasmagoriques, enquête « déconnectée » de Donnie et réflexions mûries par le spectateur, le long-métrage dégage une aura sans commune mesure.
Toutefois, si nous pourrions débattre des heures durant des ressorts temporels à l’œuvre, quitte à carrément contrevenir aux explications fournies par Richard Kelly, il pourrait être plus pertinent de se pencher sur ses prétentions allégoriques : à savoir le véritable fond de l’affaire, là où le voyage dans le temps ne serait finalement « qu’un » support formalisant une vision mordante de la puberté. Donnie Darko emprunte à ce titre des allures de fable moderne sur l’adolescence et l’incompréhension régissant ses rapports au monde des adultes : le long-métrage réalise qui plus est la prouesse de maintenir une délicate alchimie où humour noir, voûte familiale (fragilisée), ambiance surnaturelle et mystères cohabitent pour le meilleur.
Figure de proue de ce drôle de bateau, Jakes Gyllenhaal s’avère parfait dans son interprétation d’un jeune homme marginal mais, paradoxalement, archétypal dans l’image qu’il renvoie : d’une démarche pesante, les épaules basses (comme si celles-ci portaient le poids du monde) et les bras ballants (un classique), son regard aussi bien torve qu’apathique cristallise à merveille l’essence désincarnée de Donnie Darko. La galerie plus secondaire, avec son lot de figures subtilement décalées, est également des plus appréciables au gré de prestations remarquées : Jena Malone notamment, mais aussi Holmes Osborne, qui bien que relativement discret est délicieusement drôle dans son rôle de père laxiste.
Mais pour en revenir à l’exercice allégorique, le fourmillement d’idées bien agencées du film le rend définitivement brillant : le quotidien, en apparence anodin, se voit ainsi tiré de sa léthargie au fil d’un crescendo lancinant, qui par-delà l’annonciation d’une obscure fin du monde va dépeindre les différentes facettes d’une adolescence hagarde, rebelle… et candide. La justesse avec laquelle il traite d’ailleurs du premier amour, touchant et maladroit à l’envie, préfigure bien de ses prédispositions réfléchies comme inspirées ; l’évolution en filigrane de Donnie est aussi des plus intéressantes, lui qui sortira changé à jamais de sa relation avec Gretchen (notamment après avoir… voilà). Jusqu’à ce fameux dénouement.
À l’aune du second visionnage, ce dernier perd de sa teneur nébuleuse (presque incompréhensible) pour mieux embrasser le propos véritable de Donnie Darko, ou tout du moins celui que je lui prête : car au terme d’un cheminement chaotique, ses tourments n’ont désormais plus lieu d’être, l’apaisement et l’acceptation prévalant pour de bon. Étrangement, la fin arbore donc un ton optimiste plutôt que funeste, et renvoie de toute manière encore et toujours au degré d’interprétation qu’autorise le film : ai-je à juste titre omis de mentionner la schizophrénie supposée de ce brave Donnie ? Peut-être bien.