Dont Look Back
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Dont Look Back

Documentaire de D.A. Pennebaker (1967)

Alors que le documentaire pourrait être un support de communication parfait pour asseoir la légende d’une célébrité, et que l’accès la soi-disant intimité vire le plus souvent à une fiction publicitaire, le film de Pennebaker a marqué la postérité en proposant radicalement l’inverse.
En suivant Dylan sur sa tournée en 65 à Londres, le documentariste privilégie résolument les coulisses. Sans pour autant nous priver de quelques prestations scéniques, toujours intenses et habitées, les séquences suivent principalement tout ce qui les entoure : l’oisiveté backstage, les déplacements, l’organisation technique (souvent foireuse) les rencontres lors de soirées débridées, voire l’écriture et les répétitions avec les plus proches collaborateurs.


C’est surtout le contraste qui prévaut entre le statut de cette déjà star internationale, et la façon dont le jeune homme de 24 ans aborde le mythe qu’il incarne, plus ou moins malgré lui. Car s’il fustige volontiers la presse et les raccourcis dont elle se satisfait pour faire entrer l’homme dans des cases, notamment durant cet échange d’anthologie où il accable de questions et de critiques un journaliste du Time, il n’échappe pas non plus à la vanité inhérente à son succès, lisant les articles sur ses prestations ou suivant les charts à la radio tandis que son manager, Albert Grossman, joue les marchands de tapis pour faire monter les enchères de ses futurs cachets.


Alors qu’il joue pour un public conquis des chansons qui ont la valeur de mantras, il poursuit hors scène de véritables joutes verbales, montrant la pertinence acérée de sa rhétorique, sont goût pour la polémique et sa capacité à systématiquement remettre en question les institutions, notamment par sa dénégation constante sur son statut de « folk singer ». Sarcastique, arrogant, à la fois sur son nuage nocturne et en phase avec une actualité fébrile, le chanteur est saisi sur le vif, dans une esthétique qui épouse volontiers son apparent dilettantisme. Zoom brutaux, noir et blanc granuleux, dynamisme spontané, Pennebaker s’intègre, s’incruste et capte l’essence d’un groupe, les visages des fans, les frémissements d’une altercation ou les premiers signes de la rupture avec Joan Baez.


L’immersion donne la rare et difficilement accessible sensation d’être véritablement des leurs, embarqué dans ces nuits étranges où la légende s’écrit avec une simplicité déconcertante et un naturel donnant le sentiment de voir des gamins à qui on offrirait le monde sur un plateau. L’occasion rêvée pour offrir une caisse de résonnance à ses mots, même si le chanteur a bien conscience que le public est plus avide de mélodies que de poésie ; l’opportunité, aussi, de moquer les figures d’autorité, la concurrence, et ceux qui tentent de le définir. Le spectateur prend ainsi clairement la mesure de la notoriété, chacun se prévalant de lui faire des honneurs, l’invitant, le sollicitant ou lui demandant de se positionner (notamment sur la religion, qui semble obséder ses interlocuteurs). Une pression extatique et qui, face à ce frêle troubadour, prend des proportions grotesques qu’il sait saisir avec lucidité et un sens de la répartie incisif, à l’image de cette célèbre réplique qui clôt le film : Give the anarchist a cigarette.

Créée

le 7 oct. 2020

Critique lue 245 fois

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Sergent_Pepper

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