Paul Thomas Anderson est un des réalisateurs les plus talentueux du moment. En début d'année est sorti le majestueux et déroutant Phantom Thread. Cette réflexion sur la création artistique et l'obsession de la perfection constitue l'un des films les plus maîtrisés et personnels de son auteur. La sortie en salles le 21 Novembre 2018 de son tout premier film Hard Eight (sorti en Janvier 1996 aux États-Unis ) avait de quoi faire saliver. Passé inaperçu au Festival de Cannes, le film n'était pas sorti au cinéma à l'époque en France et avait seulement bénéficié d'une sortie DVD, dans une édition médiocre par ailleurs. Grâce à la société de distribution Splendor Films, on peut désormais découvrir cette œuvre dans les meilleures conditions possibles: pouvoir visionner en salles le premier film d’un réalisateur dont on a aimé les films ultérieurs est toujours une opportunité intéressante. Cependant, une trop grosse attente a peut être aussi suscité une aussi grande déception.
Le film commence par un plan fixe où l'on peut apercevoir un jeune homme désorienté et seul devant un Coffee Shop à Reno, dans le Nevada : Il s'agit de John. Ce personnage (joué par le génial John C. Reilly) vient de perdre au casino où il voulait empocher un peu d'argent pour enterrer sa mère. Soudain, un personnage de dos apparaît (on ne voit que son imperméable et on entend sa voix en hors champ ce qui renforce le côté énigmatique de l'homme) puis la caméra le suit jusqu'à John. Ce vieil homme se prénomme Sidney et se révèle être un ancien joueur de poker hors-pair. Les deux hommes commencent alors à discuter : John, d'abord craintif, accepte finalement l'aide du vieil homme et ils retournent alors au casino afin que John apprenne quelques astuces d'arnaque. Cette introduction, un peu longue et bavarde, met cependant en place de manière efficace les personnages et l'ambiance du film: une atmosphère étrange et mystérieuse (on en sait très peu sur les protagonistes par exemple). Puis on a une ellipse de deux ans et on retrouve notre tandem dans un bar où fait irruption le personnage de Gwyneth Paltrow. Elle joue Clementine, une jeune serveuse troublée qui se prostitue et dont John tombe amoureux. Et c'est à partir de ce moment que les ennuis commencent…
Le principal problème de ce film est son rythme. En effet , les séquences regorgent de dialogues, plus ou moins bien écrits, qui traînent en longueur. On pense forcément au cinéma de Quentin Tarantino, jusque dans les décors ( bars, Dinners, chambre de Motel…). Cette idée est aussi renforcée par le fait que Samuel L. Jackson, l'acteur fétiche de Tarantino, figure au casting. Celui-ci se lance d'ailleurs dans un monologue interminable à la fin du film qu'on croirait tout droit sorti de Pulp Fiction sauf qu'on ne retrouve pas du tout le flegme ou la verve d'un dialogue «Tarantinesque». Mais PTA se rapproche aussi de Tarantino dans sa volonté de faire un film dans le direct héritage du film noir : le film est remplis de références à Bob le flambeur de Melville. On songe inévitablement aussi à Scorsese et à son Casino sorti la même année (on retrouve bien les même néons typiques et cet espace de perdition que constitue le casino). Paul Thomas Anderson revendique clairement l'influence du cinéma de Scorsese en général, notamment avec ses plan séquences en Steady-Cam distillés tout au long du film. Par ailleurs, on a un usage intensif d'ellipses si bien qu'on ne comprend pas bien les relations entre certains personnages (entre John et Clementine notamment). Cela vient du fait que le montage initial, voulu par le réalisateur, durait 2h30 mais les producteurs le jugèrent trop longuet et ont donc coupé 1 heure du film.
Cependant, on retrouve bien le talent de Paul Thomas Anderson pour la direction d'acteur. On retrouve quelques acteurs récurrents de son cinéma notamment Philip Baker Hall ou John C Reilly qu'on retrouvera dans les films suivants de PTA, Boogie Nights(1997) et Magnolia (1999). Philip Baker Hall est magnétique : il incarne ce mentor ambiguë avec une inquiétante douceur et un charisme dingue. On peut aussi noter un caméo de l'acteur fétiche de PTA, Phillip Seymour Hoffman qui joue un jeune joueur de Poker très énervant et agité. Son apparition est le seul moment vraiment jouissif du film.
Ce film est une amorce intéressante du cinéma de Paul Thomas Anderson. On retrouve certains thèmes chers au réalisateur tels que la transmission, la paternité ou l’argent. Ses personnages sont très souvent des âmes solitaires qui déambulent dans un monde régi par le vice et qui ont une vision assez pessimiste du monde. PTA est fasciné par la relation maître/élève qu'on trouve dans The Master où le personnage de Joaquin Phoenix est enrôlé par une secte menée par un leader charismatique. Il y a aussi une certaine froideur dans le récit comme dans The Master ou Phantom Thread sauf que dans ces films, cela servait pleinement le propos. Ici on nous emmène dans l'univers des casinos du Nevada et on imaginait quelque chose de plus frénétique, en mouvement.

Bilan: Avec ce Hard Eight, il s'agit d'étudier les prémices du style de Paul Thomas Anderson, plutôt que de chercher un premier tour de force. On n'est très loin de la prouesse technique et narrative de Boogie Nights qui est sorti deux ans après

Romaindps
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le 25 déc. 2018

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