Le Festival de Cannes a ses petits chouchous. Des réalisateurs et réalisatrices immanquables, dont on sait que s’ils ont font un film, il sera montré au Festival. Indéniablement, Pedro Almodóvar est de ceux là. Le grand cinéaste espagnol est intimement lié au Festival puisqu’en plus d’y avoir présenté de nombreux film, il a été membre du jury en 1992 et l’a présidé en 2017. Cette année, c’est dans le cadre de la compétition qu’il l’investit, en présentant Douleur et Gloire, un film hautement personnel avec Antonio Banderas. Acclamé par la critique et les festivaliers, le fantasque réalisateur a-t-il, à presque 70 ans, perdu de sa superbe ?


Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.


Douleur et Gloire est exceptionnellement personnel, il sert de confessionnal et d’explication à Almodóvar. C’est un film sur l’art, l’action de créer et son coût. Il fait une revue de tout ce qui nourrit l’artiste : les souvenirs, l’amour, la souffrance, la drogue, etc… Dans la filmographie du réalisateur, il vient après Julietta, un film assez mineur qui avait été critiqué pour son esthétique et son histoire plus sages, communes et uniformes que ce à quoi le réalisateur espagnol nous avait habitué. Douleur et Gloire est un retour en force avec un faux air de chant du cygne.


Visuellement, d’abord, Almodóvar retrouve ses motifs habituels avec des cadres extrêmement soignés, parfois picturaux, emplis de sens et des décors élaborés. Comme par le passé, c’est surtout l’usage des couleurs qui marque. De fortes présences du rouge, du jaune et du bleu profond donnent au film son esthétique pop et vivante si typique. Mais cette vivacité est aussi contrebalancée par des scènes bien moins colorées, travaillant plutôt le contraste entre le blanc et le noir, la lumière et l’obscurité. Si ce travail des couleurs est virtuose, on n’en attendait pas moins, il fait cependant parfois mécanique. On a comme le sentiment que le réalisateur a inséré ses motifs dans le film parce que c’est justement c’est ce qu’on attend de lui, sans toujours les accompagner de sens. Pour autant, le film est très beau et quand les visuels font sens, ils s’en retrouvent incroyablement puissants.


Au delà de la photographie, la réalisation est très riche. Le film se déroule sur deux temporalités qui cachent une mise en abîme, entre lesquels on voyage organiquement à des moments clés du récit. On remarque une omniprésence de l’art, surtout plastique, qui sert la thèse du film. Les décors s’en sortent enrichis en caractère, les personnages nourris en références, etc… Ce que dit le film, et l’omniprésence des œuvres, c’est que l’art nourrit l’art. C’est finalement, dans l’appartement de Salvador semblable à un musée, une représentation de la culture.


Douleur et Gloire est un film plus que pertinent dans une analyse symbolique donc, mais aussi incroyablement fort émotionnellement. C’est la confession d’un réalisateur vieillissant, conscient de ses erreurs, mais aussi orgueilleux à propos de ses réussites, assez lucide. L’histoire est portée par des acteurs excellents. Antonio Banderas incarne Salvador Mallo, avatar de Pedro Almodóvar, guindé, prétentieux, endolori et plein de regrets. Sa performance n’est pas forcément pleine de nuance mais se nourrit de sa présence et de son implication corporelle. Asier Etxeandia joue un acteur partageant un passé tumultueux avec le réalisateur et luttant contre ses propres démons. Il représente les acteurs ayant auparavant travaillé avec Almodovar, dont Antonio Banderas, créant un recul introspectif dans le conflit assez intéressant.


En vérité le film s’appuie sur une représentation juste de sentiments forts et familiers qui s’entrechoquent dans un tourbillon émotionnel. Les souvenirs douloureux exprimés en catharsis dans l’art, les regrets extériorisés dans d’émouvants monologues nourris par la sensibilité des acteurs, le désir toujours incarné avec vibrance et sensualité dans le style du réalisateur, la souffrance et la drogue enfin. Pedro Almodóvar nous livre une cartographie de l’inspiration. Une navigation certes lente, mais complexe et feutrée dans un esprit souffrant, et une démonstration de la réaction presque chimique qui transforme la souffrance en création.


Douleur et Gloire ne compte pas parmi les plus grands films de son réalisateur, tant celui-ci est accoutumé aux chef d’œuvres. Cependant c’est une oeuvre riche, à fleur de peau et honnête. Toujours pourvu de fantaisie et d’un certain humour grinçant, centré autour de l’irrationalité et l’humanité des personnages, hanté par la figure ambiguë de la mère, le film répond à toutes les attentes. Certes très autocentré ; une confession de l’artiste qui a parfois des airs de lamentation autour de problèmes éminemment élitistes. Cependant, une introspection dans l’esprit et le corps d’une icône comme Almodóvar, surtout faite avec autant de générosité et de tendresse, a indéniablement un intérêt immense.

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