Doutes
1.9
Doutes

Film de Yamini Lila Kumar (2013)

Pauvres mortels apolitisés que nous sommes, nous nous devons de prendre au sérieux cette chronique politique sans discours (tout discours est-il politique, mon cher ?). En effet, Yamini Lila Kumar tente un Art Total, scindant ces différents médium pour atteindre un objectif que tout Artiste accompli a fantasmé : leur dépouillement jusqu'à leur essentialisme, tel le Dérèglement des Sens de Rimbaud. Il faut les libérer des carcans commerciaux auxquels nos Sociétés de pouilleux sont habitués, et leur montrer ce qu'est une réflexion pertinente sur l'avenir de la politique Française (et de Biolay acteur lol).
L'art cinématographique : tel "La Maman et la Putain", référence intentionnelle stylistique (et ça s'arrête là), le Mouvement n'est pas la priorité. C'est pourquoi Kumar réduit les déplacements à des pas dans des salons Parisiens, histoire qu'il n'y ait pas de malentendu sur la crédibilité des thèses politiques. Les téléphones sont vecteurs de spatialisation, afin d'abolir la règle des 360° de la dictature cinématographique générale. Et puis, soudainement, Kumar a découvert le caméra à l'épaule. C'est clair, c'est osé, c'est même foufou, mais elle ne se laisse pas concéder à des oppressions dictées par deux siècles de langage cinématographique : la mise au point reste alternative, les soubresauts sont présents, et nous n'oublierons pas que la photographie doit être la plus neutre possible, tel une retranscription de la réalité d'un automne Parisien pourri. "Doutes" n'est pas là pour faire plaisir à vos yeux, il est là pour vous faire réfléchir sur la situation actuelle du pays. On est pas là pour rigoler, ou tenir des stands de crêpes.
L'art théâtral : les dialogues ne doivent surtout pas être crédibles. Kumar a beaucoup de brouillons de livres refusés à transmettre au public, qui doit savoir qu'un homme peut ressembler à un canton Suisse. Il faut parler de Sarkozy et de Hollande, mais juste parler d'eux. Ne pas parler de leurs idées, parce que sinon ça ferait trop politique. C'est pourquoi les prises de têtes ne doivent pas être dans la demi-mesure : la politique n'est-elle pas connue pour être un sujet attisant railleries ou discordes ? Elle ne doit surtout pas être le lien entre les personnages, qui ne doivent surtout pas avoir d'alchimie, sinon ça devient Américanisé et on est pas là pour ça. Qui dit Art total dit froideur ; l'indifférence de l'Humain face à l'Humanité, sa place dans l'Univers, l'absurdité de la relation entre l'individu et un autre, le cul de Cécile Duflot, tout ça est illustré dans "Doutes", sans prendre le spectateur par la main (mouillée de larmes de rire). Mais toute cette ambition ne serait rien sans l'appui des comédiens. Kumar a fait exprès de ne choisir aucun comédien, parce que, justement, on ne cherche pas le jeu d'acteur : on cherche l'authenticité. On truque pas ici, le film est au plus près du réel, du quotidien des Parisiens comme des Provinciaux. Ainsi, Barbier doit exactement montrer qu'il connait la rédaction de l'Express mieux que les locaux de l'UMP, Biolay doit être aussi exécrable que ces bobo-gauchistes qui ont cru en leur DSK chéri (et surtout y comprendre le minimum, parce que bon on comprend pas tout ce qu'ils disent ces Gilets Jaunes), et Guiaro doit nous évoquer la fin de vie de Mitterand à chaque instant. Par contre, Brahim dénote un peu : sa fraîcheur et sa tendance à adopter des intonations différentes perturbe la démarche accomplie de la réalisatrice. N'oublions pas qu'ici, la notion de Vie doit surtout n'avoir aucun sens.
L'art littéraire : là aussi, Kumar est aussi audacieuse qu'ambitieuse. La structure narrative, les enjeux ou l'évolution des personnages sont ici remplacés par des conflits, aux fondations obscures (comme le conflit politique des années 2010, réfléchissez là dessus, cher public Parisien). Dans ce film, le fil rouge n'est qu'une simulation dont l'improbable est roi. Mais ne vous inquiétez pas, elle se doutait bien que trop de réflexions sur l'avenir de la Gauche ou l'intégrité de la Droite risquait de surcharger le cerveau du spectateur, d'autant plus que s'il y a des Gauchiasses, ils ne comprendront pas tout : une sous-intrigues, mêlant DSK et adultère, donc très Française et compréhensible par le plus grand nombre. Cependant, nous ne perdons pas de vue l'objectif d'Art total, cette intrigue s'achève sur une tragédie. Et Kumar, fidèle à sa retranscription de l’absurdité humaine, lui donnera la meilleure des raisons : la désilusion des mensonges. DSK n'est pas tout rose, la copine de Biolay ne l'a pas trompé. Et comme nous sommes face à une œuvre d’art, elle annonce la débâcle Macron. Brillant.
L’art musical : là aussi, niveau Sound-Design, pas de superficialité. Il est inutile de chercher à déconcentrer le spectateur des théories politiques qu’on tente de lui transmettre. Par contre, nous trouvons la chanson « Sans Viser Personne » (sauf Sarkozy, Hollande, la grand-mère de Biolay et les rideaux dégueulasses de la voisine) en ouverture du film, ainsi que « Si tu suis mon regard » en conclusion, titres du chanteur lyrique. Alors, forcément, nous serions tentés de croire qu’ils ne sont pas pertinents dans leur utilisation, même vaines, et qu’il y a un intéressement d’ordre pécuniaire pour ne pas avoir à payer des droits d’auteur. Mais ce ne serait que calomnie : la réalisatrice annonce dès son début qu’elle parlera politique sans prendre parti, et conclut son long-métrage en disant qu’il faut regarder le générique jusqu’au bout pour savourer l’œuvre dans son entièreté. En plus, de quoi vous vous plaignez, ça aurait pu être Barbier qui chanterait à la fin !
Il ne manque alors que l’Art du kung-fu, et vous avez un véritable exemple d’Art total. Les Arts aux possibilités réduites au maximum, l’isolement des mentalités, la notion d’amusement abolit pour faire rejaillir l’Ennui de l’Homme face à sa fatalité absurde, la valeur de la liberté d’expression : tout ceci, par des créateurs et des personnages rongés par leurs doutes si empathiques. Cracher sur « Doutes », c’est cracher sur l’Art. Longue vie au cinéma français contemporain !

Créée

le 29 avr. 2020

Critique lue 343 fois

3 j'aime

9 commentaires

Billy98

Écrit par

Critique lue 343 fois

3
9

D'autres avis sur Doutes

Doutes
blacktide
2

Dessine-moi la politique, père Castor

Fallait-il croire la belle bande de chérubins des Poppys ? « Non, non, rien a changé » chantaient-ils avec le même entrain qu’une révolution en juillet. Quelques frappes dans les (lende)mains, et la...

le 12 sept. 2018

10 j'aime

Doutes
Cosmic_M
1

Un mauvais film sans le moindre doute

Il existe des films qu'on se demande mais comment il est possible qu'ils existent. Des films qui popent mais qu'on oublie très vite au point qu'ils n'ont même pas eu de sortie vidéo. Certains me...

le 11 déc. 2018

5 j'aime

2

Doutes
Pascoul_Relléguic
1

Critique de Doutes par Pascoul Relléguic

Outch. Ça faisait longtemps que je n'avais pas affronté une telle lessiveuse mentale dont on ressort dans un état de vulnérabilité psychique te que l'on se sent prêt à intégrer la première secte...

le 12 oct. 2018

4 j'aime

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Billy98
10

MA BIBLE

Mon film préféré. La plus grosse claque artistique de ma vie. Une influence dans ma vie. Un éternel compagnon de route. Le cinéma à l'état pur et au summum. Oui, vraiment ma Bible à moi. Je connais...

le 21 juin 2016

29 j'aime

12

Lulu
Billy98
10

Jamais été aussi désespéré, et jamais été aussi beau (attention: pavé)

Le Manifeste... Projet débuté par un court-métrage majestueux, accentué de poèmes en prose envoyés par satellite, entretenant le mystère, son but semble vraiment de dire: prenons notre temps pour...

le 15 mars 2017

27 j'aime

10

The Voice : La Plus Belle Voix
Billy98
2

Le mensonge

Je ne reproche pas à cette émission d'être une grosse production TF1. Après tout, les paillettes attirent les audiences, et plus les audiences augmentent plus les attentes montent, c'est normal. Je...

le 17 févr. 2018

18 j'aime

7