J’ai lu beaucoup d’analyses de ce célèbre huis clos, que le classement en nº1 de SC m’a incité à revoir. Mais, curieusement, aucune n’adopte la lecture qui s’est imposée à moi : l’évocation christique.
Tout vêtu de blanc, couleur de la pureté, le juré nº8 agit en effet comme le Christ : il bouscule le consensus en invitant à changer de regard. C’est ce qui rend la parole évangélique si riche, que l’on soit ou non croyant : le Christ ne cesse de nous dire « sortez de vos schémas de fonctionnement, convertissez-vous - c’est-à-dire : changez de regard ». C’est bien ce que fait le juré nº8, il invite chacun à dépasser ses préjugés (raciaux ou de classe) pour accéder à la vérité, où tout du moins à s’en approcher.
Le Christ, c’est aussi celui qui remet en cause les vieux rites, dont le sacrifice rituel de l’innocent. Un seul plan suffit à nous convaincre de l’innocence de ce jeune homme faible, craintif. Mais la colère qui habite les 11 jurés les a empêchés de le voir.
Ainsi le juré nº8 va-t-il parvenir à « convertir » ces 11 autres. Et cela, comme le Christ, avec deux moyens :
- par l’écoute, l’attention à autrui, d’une part ;
- et, d’autre part, en posant les bonnes questions, de celles qui font faire un pas de côté, qui rénovent le regard. Par exemple, de montrer à chacun qu’il met lui-même en œuvre ce qu’il reproche à l’accusé (on pense à la paille et la poutre, ou au fameux « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre »). Et, contrairement aux 11 autres, il s’intéresse à l’accusé comme être humain à part entière, sans le réduire à une catégorie (pauvre, immigrés, délinquant).
D’autres indices portent à cette lecture biblique : les 12 jurés font penser aux apôtres (et aux 12 tribus d’Israël). La pluie qui s’abat sur la ville alors que les jurés sont partagés à 6 contre 6 évoque le Déluge, dont la fonction était de faire repartir l’humanité sur de nouvelles bases. Et puis il y a ce premier plan, montrant la façade du palais de justice, qui monte vers le ciel, puis qui redescend pour parvenir enfin à l’intérieur du tribunal. Un symbole religieux.
Au-delà de la mise en scène, d’une grande sobriété et d’une efficacité étonnante, de l’exercice réussi de cinéma, ce huis clos de référence est un éloge du doute. Hautement recommandable à notre époque où le lynchage, même s’il n’est que médiatique, est immédiat sans prendre le temps d’y « regarder à deux fois ». À montrer dans tous les lycées pour apprendre à se méfier des certitudes et des apparences.
7,5