Puisque ces jurés doivent user de rhétorique pour asseoir leurs positions, je me demande si cette oeuvre a su user de la sienne pour me faire croire en sa qualité. Aristote pense que la rhétorique repose sur trois piliers : pathos, ethos et logos. Utilisons un filtre objectif pour décrire une opinion subjective.


Pourquoi cette oeuvre suscite t'elle l'émotion ?


Dans les première minutes du film tout nous indique la future colère de nos douze jurés. Il fait chaud. Quoi de mieux que cela pour créer, d'entrée de jeu et pour le reste du film, une atmosphère suffocante. Viens l'orage et la pluie, qui donnent un fond sonore oppressant. Les perles de sueurs qui roulent sur les visages. Puis enfin, le moment orgiaque, la colère. Tout est filmé justement avec des champs-contrechamps illustrant parfaitement les confrontations. Soulignons aussi les gros plans, faisant ressortir l'état de stress des personnages. Le film n'oublie néanmoins pas de respirer. Les moments d'accalmie, annoncés la plupart du temps par des pauses, rappellent les entractes de la pièce de théâtre originale. Le seul point qui viendrait noircir le tableau serait peut être le caractère très grossi des personnages. Cela apporte plus de pathos mais fais perdre en crédibilité ces derniers, opposant de manière manichéenne des "méchants" à des "gentils". (e.g le cliché du raciste manque cruellement de finesse, ce sentiment est bien plus insidieux en réalité).


Pourquoi les acteurs de cette oeuvre convainquent le spectateur ?


Henry Fonda est un grand acteur. Il joue avec brio son personnage. Elégant et éloquent il réussit facilement à charmer son auditoire fictif comme réel. Pour le reste des personnages, la recette est assez simple. Prenez les clichés de l'ouvrier plein de rhétorique, du commercial égoïste, du broker suffisant, de votre oncle raciste, du simplet, du vieux sage, du modérateur dépassé par les caractères bien trempés de ses comparses, du père de famille "c'était mieux avant quand.../à mon époque...." colérique et vous aurez fait le tour de table. Se complaire dans les clichés est un peu simple et donne un manque de profondeur flagrant de tout les personnages face à Fonda. Il brille, oui ! Mais à quoi bon briller parmi de pâles pions.


Pourquoi cette oeuvre repose sur une argumentation bien ficelée ?


Cette question n'en est pas une parce que tout ceci est bien trop décousu. Si le message de tolérance démocrate est louable et les quelques coups d'éclats de Fonda bien pensés, nous ne pouvons légitimement pas voir une argumentation solide de la part notre protagoniste principal. Son jeu va être de démolir un par un les arguments de ses collègues pour les rallier à sa cause. Arguments sortant d'ailleurs de façon bien trop improbable ou prévisible pour ne pas y sentir la patte de l'auteur. Et pourtant, cela m'a tenu en haleine. J'ai accroché parce qu'au delà du discours, le leader positif fait preuve d'une intelligence relationnelle déconcertante. Je me permettrais d'ajouter que le kairos est souvent associé à l'art oratoire. Le kairos est une des trois composantes du temps, avec chronos et aion. Il désigne le moment opportun. C'est ce moment opportun dont se saisit toujours le juré numéro huit. Vous remarquerez qu'il ne parle pas tant que cela mais toujours avec un timing parfait. Au-delà de l'argumentation, j'ai apprécié le fait que l'on puisse aborder cette oeuvre d'un point de vue sociologique avec un leader positive et un leader négatif, des early adopters, des influenceurs et des suiveurs.


Pour finir, je tiens à dire que je suis déçu par une fin trop facile. Le leader négatif manque bel et bien de profondeur pour s'écrouler en pleur en voyant une photo de son fils (pour rappel ce dernier ne lui donne plus de nouvel depuis deux années). Le déséquilibre entre pathos et logos est flagrant.


Voici qui clôt ma première critique. Je l'espère pertinente et un minimum subjective.


Pour ma part :



  • Points positifs : Mise en scène et Fonda

  • Points négatifs : Légèreté du fond et de la critique de la société (e.g les personnages font l'autruche lorsque le juré 11 tient un discours raciste) et fin du film


Malgré les points négatifs je n'estime pas avoir perdu mon temps devant ce film et bien au contraire j'ai vraiment apprécié l'oeuvre. C'est avec un peu de recul que j'ai mitigé mon avis de départ. C'est un classique qui aurait pu être un chef d'oeuvre si Fonda avait manipulé le jury et était en réalité le coupable. Oui, j'adore les twists.


Mehdi.

MehdiTriki
7
Écrit par

Créée

le 27 déc. 2018

Critique lue 195 fois

Mehdi Triki

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