The reasonable doubt aurait pu être le sous-titre de 12 hommes en colère. Ces mots surviennent régulièrement, tel un leitmotiv, émiettant chaque fois un peu plus les convictions originales, jusqu'à ce que plus personne ne soit sûr de rien : I have a reasonable doubt. Au-delà de la morale un peu facile de cette histoire - le bien triomphe, on a tourné le dos au raciste du groupe (littéralement), on a sauvé un homme possiblement innocent de la potence - c'est surtout la façon dont le film aborde les différents arguments et les protagonistes qui les avancent qui frappe par sa réussite.

Vous connaissez probablement déjà la petite expérience : on lance une pièce de monnaie dix fois de suite, elle retombe 9 fois sur face ; combien de chances qu'elle tombe sur pile au dixième lancé?* La série 7 - 14 - 19 - 36 - 49 a-t-elle réellement plus de chance de tomber au loto que la série 1 - 2 - 3 - 4 - 5?** Une dernière pour la route : une boîte contient 100 fiches, 30 présentant le profil d'un avocat, 70 celui d'un ingénieur. Si une fiche présente un homme de 62 ans marié, père de famille, bon orateur et s'occupant de politique locale, quelles sont les chances pour qu'il soit avocat?***

Le fait est que notre rationalité est faillible et que bien souvent un contexte, une idée reçue suffisent pour nous forger une opinion. L'homme en blanc nous le rappelle en soutenant à chaque fois qu'un doute subsiste, que chacune des preuves présentées n'en sont finalement pas, mais comment s'en rendre compte spontanément? Pourquoi faire l'effort de mettre en doute nos convictions? Le comportement des autres jurés est intéressant de ce point de vue là : qu'ils soient simplement pressés ou qu'ils fassent de cette affaire une affaire personnelle, ils utilisent tous des techniques bien connues de nous-même pour ne pas avoir à changer d'opinion. Regardez autour de vous. Avez-vous remarqué cette personne qui ne lira rien d'autre que Le Figaro (ou au contraire Libération) pour éviter d'être confrontée à des idées contraires aux siennes? Vous souvenez-vous de cet ami qui a hoché la tête à tous vos arguments quand vous avez voulu le faire changer d'avis mais qui finalement n'en a retenu aucun parce qu'en réalité il ne voulait pas les entendre? Combien de personnes se contentent d'expliquer leur opinion par le fait que c'est celle de la majorité? Combien d'hommes (ou de femmes) politiques se contentent d'exploser de colère et de consternation quand leurs antagonistes leur exposent leurs idées et leurs arguments... sans réellement les contrer?

Toutes ces réactions se retrouvent de près ou de loin dans le comportement des jurés. 12 hommes en colère est un cas d'école, mais pas seulement cinématographique. Soulignons cependant le talent qu'il faut pour rendre un huis clos de quatre-vingt-quinze minutes aussi intéressant, clair, sans lasser le spectateur. On a peine à croire qu'il ait fallu si peu de temps pour passer de 11 votes coupable contre 1 vote non coupable à 12 votes non coupable, mais le cheminement se fait avec une rigueur et une fluidité implacables. Soyons concis : interprétation et réalisation sont exemplaires. L'aspect théâtral de cette histoire n'y est pas pour rien ; d'ailleurs elle ne dépareillerait pas sur les planches.

Finalement, 12 hommes en colère est un film optimiste sur la capacité de l'homme à mobiliser ses capacités de raisonnement. Mais n'oublions pas que Davis (l'homme en blanc) est un idéal difficile à atteindre. Il n'est pas facile d'être l'avocat du diable...


*50%.
**Non.
***30% (Kahneman & Tversky, 1973)
RaoulDeCambrai
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le 23 sept. 2013

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