Écoute le cri des animaux quand on les enfouit dans un sac

On pourra faire des films et raconter des histoires jusqu'à la fin des temps, quitte à se répéter éternellement dans une bouillie d'esprits mêlés, qu'on n'arriverait pas à atteindre un centième de ce qui est évoqué avec une force effroyable dans 12 Hommes en Colère. Qu'on cherche encore à conter quoi que ce soit sur l'homme, sa nature profonde et son lien à autrui après l'Everest qu'a bâti Sidney Lumet, est presque extraordinaire.


Car tout est là.


Toute l'essence de notre société humaine est là, coincée entre deux bobines sur 90 minutes de théâtre filmique en huis clos. On aurait pu se dire que c'était bon, Lumet les a tous mis à terre, on arrête le cinéma et on passe à autre chose. C'est presque fantastique d'avoir cherché à continuer de créer après cela et pourtant ce fut le cas, répétant, copiant, l'histoire d'une histoire, d'une histoire qui est réalité. 12 Hommes en Colère est une force tranquille en comparaison ; il est réalité.


Le postulat est pourtant d'une telle simplicité : un jeune gars, de la mauvaise graine pour la société, est accusé du meurtre de son père. Tout semble concorder, le procès se déroule sans anicroches. Pour tous, la culpabilité est avérée. On a le mobile, l'arme du crime, deux témoins oculaires, rien que ça. Le verdict des douze jurés s'avère sans appel...ou presque. Un homme, qu'interprète ce monstre mythique d'Henry Fonda, s'oppose. Non pas qu'il croit en l'innocence du jeune, il lui laisse le bénéfice du doute. Pourquoi condamner aussi facilement sans lui laisser la moindre chance ?


Au grand dam d'une majorité déjà convaincue sans y avoir réellement pensé, les faits sont ré-examinés un par un. Tout est disséqué jusqu'aux plus infimes détails. Contre une société qui juge sans regarder, contre des jurés non conscients de la vie qu'ils tiennent du bout des doigts, on laisse place au doute Cartésien. S'ensuit alors une des enquêtes les plus palpitantes jamais narrées.


Lumet a eu le génie de transposer son œuvre dans un lieu clos, renfermé, peuplé d'une foule d'individus sans noms croulant sous une chaleur éprouvante, une pluie assourdissante. Le poids de la vie et de la justice les habitent peu à peu. Tous ont leurs points de rupture, et aux protagonistes entre eux de s'amener à s'y confronter, bien malgré eux.


Au fond, c'est le procès de notre civilisation qui se joue. Le procès des préjugés, d'une vérité qu'on ne questionne pas, qu'on croit parce qu'on pense la voir. Mais ne pas prendre en compte le prisme de chacun envers la réalité, c'est ne jamais y faire face. Le débat se veut passionné, philosophique, idéologique, logique, mathématique, tout y passe. Les uns se murent dans le silence face à l'obséquiosité (ce qui donne d'ailleurs cette scène magnifique où chacun va le lever en silence et tourner le dos aux propos ignobles d'un féroce zélateur), lorsque d'autres hyperventilent leur haine, prenant le problème personnellement.


Car oui, s'il est question d'une affaire bien précise qui a son importance, c'est aussi le plaidoyer et le procès de chacun, eux dont les douze personnalités dépeignent l'homme, dans ses faiblesses et son entière complexité. Quelque part il est en train de se jouer le jugement dernier : l'homme mérite-t-il sa survie ? Laissons l'homme décider pour lui et décidons en conséquence d'abandonner ou non notre humanité.


12 Hommes en Colère est de ces œuvres qu'on ne regarde que très rarement (mon deuxième visionnage seulement), du fait de son bouillonnement intrinsèque. S'y confronter c'est remettre en jeu notre perception de l'homme, repenser sa nature, aussi malléable et détestable soit-elle parfois.


Brillant.

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le 6 oct. 2017

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Fosca

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