“Je ne sais s’il est innocent ou coupable, je dis juste que c’est possible” Juré n°8 (Henry Fonda)



Voila tout le coeur de 12 hommes en colère : le doute. Un doute qualifié de “légitime”, car il s’agit là de juger, de faire justice. Je n’ai ni la culture cinématographique, ni la prétention de faire l’analyse critique d’un tel chef d’oeuvre du cinéma. Alors je me contente d’interroger ce point du film qui m’a particulièrement captivé. Pour ça, je me suis replongé dans un peu de philosophie (je conseille la lecture plus argumentée des textes en lien en fin d’article), ne dépassant là guère plus que mon niveau de Terminale, série S (càd pas grand chose).


Ce premier film de Sidney Lumet m’a paru d’une modernité et d’une singularité épatante. Car tout le long du récit (très court, à peine 96 min), je m’attendais à l’ultime révélation, les raisons et les motivations du juré n°8. En spectateur de la fin du XXe - début XXIe, je guettais ce moment où l’on apprend qu’il a un lien avec l’accusé, qu’il veut assouvir une vengeance… Et puis, rien. Pas de récompense à la clé, de coeur à conquérir ou d’ennemi à vaincre. Juste un homme poussé par des motivations désintéressées, par un sens aigu de la justice et de la vérité. Ce postulat est si rare qu’il en est déconcertant.


La forme aussi l’est, car voici un film judiciaire sans procès. Nous restons dans une arrière salle où il fait trop chaud, où des messieurs badinent et décident de la destinée d’un garçon comme on commente le prochain match de base-ball. Ce jeune meurtrier que l’on ne verra qu’à une occasion, mais dont le visage sera en surimpression sur cette salle, à la fois absent et omniprésent.


Comme souvent, le héros sera celui qui dit non, qui s’opposera aux autres. Sauf que dans toute histoire moderne, le rebelle arrive à tenir face aux autres car il sait détenir la vérité, envers et contre tous. Dans 12 hommes en colère, c’est tout l’inverse. Le héros est celui qui doute.
Cherche-t-il la vérité ? Pas vraiment. Il ne veut pas être juste un mouton de Panurge. En tout cas, pas tout de suite, pas en 5 minutes. Et le voila pour les autres, ce mouton noir, bête à bouffer du foin. Face à lui, des hommes convaincus de la culpabilité de l’accusé.



“Je ne sais pas. J’en suis convaincu.” Juré n°2 (John Fielder)



Et voila, il ne s’agit pas de vérité, mais de certitudes. Nous sommes proches de l’allégorie de la caverne (et du premier trimestre).
La vérité, d’ailleurs, le juré n°8 ne cherche pas à l’atteindre. Il veut démonter les préjugés (ethniques, sociaux, intellectuels, etc.) pour éclairer les zones d’ombres. Que ce soient les faits, scientifiques donc irréfutables, ou les témoignages, forcément sûrs car sous serment.



“En détruisant toutes celles de mes opinions que je jugeais être mal fondées, je faisais diverses observations et acquérais plusieurs expériences, qui m’ont servi depuis à en établir de plus certaines.” Descartes, Discours de la méthode



En faisant cela, il distingue la punition de la vengeance.



“La vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l’arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constituant à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque, nécessairement, à l’infini, de nouvelles vengeances.” G.W.F. Hegel, Propédeutique philosophique (1808)



Il est intéressant de constater que les jurés ne sont que des numéros, représentant chacun des archétypes (bien détaillés ici). A l’exception du n°8, dont on apprend le prénom à la fin, Davis, qui n’est pas sans évoqué le David qui a combattu Goliath.


Car ce film est une histoire de failles. Failles humaines, de ces individus, tous de sexe masculin, incapables de mettre de côté leur propre vie pour juger celle de l’Autre. Failles du système judiciaire, qui commet d’office un avocat incompétent et qui considère infaillibles les paroles de témoins eux-mêmes faillibles. L’erreur est humaine. Le doute aussi.


Après les plans d’ensemble du début, où le collectif écrase le marginal, Sidney Lumet multiplie les gros plans, au plus près du visage de ces hommes, affinant les détails, révélant les fêlures et les doutes.


Si l’on peut aussi facilement faire de la philosophie avec 12 hommes en colère, comme monsieur Jourdain fait de la prose, c’est surtout parce qu’à travers ce huis clos, le film s’intéresse d’abord à l’humain, à l’homme derrière la fonction. Sidney Lumet prend le temps d’y réfléchir, de nous l’exposer, de l’expliquer. Tout comme le fait le juré n°8 pour savoir si un homme de 18 ans doit être ou non envoyer sur la chaise électrique.


--- Pour approfondir


12 hommes en colère : suffit-il d’être certain pour être « dans le vrai » ?


Sidney Lumet ou Le dialogue socratique au cinéma


Une analyse par un professeur de philosophie

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le 5 janv. 2016

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Caledodub

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