Un café sur le bord de la route qui apaisait les remous du bayou.

Des hommes réveillent des femmes qui n’avaient rien demandé. Dans la rue, le rail de la caméra grince, s’étire et balafre ce quartier trop calme, de ceux qui abritent tant d’âmes brisées. Un chien s’ébroue de toute cette cendre tombée du ciel froid.


Ecran noir. Générique blanc. Putains.


Down by Law nous plonge à la marge, dans un monde grisonnant où personne ne gagne jamais. On suit Zack, on suit Jack mais on se perd bien vite. Le temps s’étire doucement, lorgne d’un œil vitreux sur les protagonistes en train de dérailler de l’engrenage d’une routine dans laquelle ils s’étaient retrouvés vidés de leur couleur. Ils déambulent, nonchalamment dans le crépuscule cartonné de cette ville au cœur de la Louisiane, jamais très loin de la moiteur qui fait perler de sueur leurs nuques endolories.


Zack et Jack, la vie leur fait une clé de bras. Et dans ces cas-là il vaut mieux se détendre et laisser couler. On finit toujours par crever de toute façon. Parfois on arrive à grappiller quelques précieuses secondes pour se dire que, quand même, on a sacrément merdé et sur toute la ligne. Zack, Jack, ils ont eu tout le temps d’y réfléchir entre ces quatre murs encore tièdes de rancœur. Ils ont plongé tête la première dans la lie de l’humanité, celle qui reste au fond de la marmite et nettoie bien vite de toute la croute de faux-semblants que le peuple des hauteurs à laisser sur toi. Ils naissent à nouveau mais il faut alors réapprendre à tout faire sans ces schémas prémâchés dans lesquels il baignaient jusqu’à présent.


Jack réapprend à s’en foutre. Zack tient fermement les barres chauffées à blanc par la haine de générations d’hommes qui en avaient encore quelque chose à cirer. Jack apprend à dormir sur un sommier dur. Zack se demande s’il vaut mieux essayer de passer sa vie à tenter de sortir de l’abîme ou l’aménager pour y vivre le moins difficilement possible. Jack s’en branle. Malgré tout, entre quatre murs, le temps finit par se faire long. Avec un peu de chance, on arrive à provoquer une baston et ce temps interminable devient indispensable, on le passe à cicatriser. Zack repense à Laurette, ça lui arrive. Il se dit qu’elle n’était pas si mal cette fille, ça fait des bons souvenirs. Jack pisse. Walt Whitman.


J’oubliais. Pendant tout ce temps, Bob est là. Il aimerait bien parler mais quand il parle, ça crisse sur les murs pour raconter une autre histoire. Autrement plus profonde que celle qu’il garde sur un calepin dans sa poche. C’est le seul qui arrive à regarder à travers la fenêtre, les autres s’en rendent compte et ils finissent par ne plus la regarder cette fenêtre. Ils regardent Bob, ils regardent son charabia se contorsionner dans cette pièce exiguë et donner une couleur de vie et des sourires timides à notre trio improvisé. La naïveté de Bob est contagieuse et parvient même à dérider nos deux renfrognés. Bob avale Zack et Jack, les féconde dans un cœur chaud pour encaisser toutes leurs souffrances. Bob raconte des histoires par-delà le temps et l’espace. Il ne vit jamais que dans l’instant présent et aurait pu tout aussi bien naitre à même le sol froid dans un coin de cette cellule sans vie. Dans ou hors du carcan de leur relation, Bob récupère avec méthode les fragments de beauté que Zack et Jack laissent insouciamment tomber derrière eux. Il les recolle ensemble ces morceaux, les cimente de poésie pour que ses nouveaux amis ne soient plus emmerdés. Ils sont tous fatigués.


Et c’est dans un ciel grésillant d’étoiles leur appuyant des coups d’œil maussades qu’ils trouvent enfin un peu de paix et de repos. Zack et Jack s’éloignent. Les vêtements de Luigi sont trop grands pour Zack, trop petits pour Jack.


Ils leur vont parfaitement.


Bob couvre les hurlements du marais d’un rire tonitruant. La barque se couvre de vase épaisse. Le soleil tombe. On ne sort jamais vraiment du bayou.

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le 9 mars 2017

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Neeco

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