Quand durant les interviews ayant accompagné la sortie de Valhalla Rising - le Guerrier Silencieux, Nicolas Winding Refn a confié être prêt à réaliser son premier film américain, on avoue avoir exprimé quelques reserves... L'aspect tête brulée de son cinéma, sa façon d'enchainer les réussites cinématographiques adoubés par de splendides bides financiers, ne semblait pas coïncider avec une industrie hollywoodienne si encline à faire plier les petits prodiges d'Outre-Atlantique. Et c'est avec déléctation que l'on reconnait s'être trompé.

Refn, pour céder à un axiome Renoirien usé jusqu'à la corde, ne réalise au final qu'encore et toujours le même film. Une relecture de western taiseux à la violence aussi fulgurante que distanciée. Il s'avère que le style du danois colle assez parfaitement aux contours d'une série B industrielle. Sans avoir le script en main, on se plait à desceller les aménagements, épurations apportés à un scénario qui semblait condamné au Direct-To-Video. Jouer le jeu d'Hollywood tout en étant cohérent avec une oeuvre préexistante semble aussi autrement plus aisé quand on a réussi à se mettre un Ryan Gosling en pleine montée de hype dans la poche (c'est d'ailleurs ce dernier qui a motivé le choix du réalisateur). L'acteur a grandement participé à la conception du film (choix de la musique, design du blouson, etc.). Sa voix trainante et nasillarde, son jeu très less is more n'ont rien à envier aux performances de Madds Mikkelsen ou Tom Hardy.

Refn parle dans ses interviews d'un film d'action sous influence des teenage-movies de John Hugues. On ne peut lui donner tord, mais on peut aussi bien pointer sa modestie. Rose Bonbon ou The Breakfast Club sont des horizons esthétiques certains, que Refn transcende assurément en usant de la caméra numérique dernière génération Alexa. Mais la démarche n'est pas sans évoquer la carrière d'un autre metteur en scène expatrié : Paul Verhoeven. Si Drive ne constitue au final qu'une relecture joueuse et ludique d'un genre installé (la série B d'action) et non une réflexion frondeuse sur la société américaine comme un bon nombre d'oeuvres du Hollandais, ils semblent avoir un approche de réappropriation de la culture américaine commune. Le motif de la Ville dans Drive, un assemblage terriblement homogène, criard, "stabiloté", que le personnage principal connait jusqu'à la corde (l'incroyablement éloquent plan d'introduction sur la carte de Los Angeles) semble proposer bien peu d'intérêts aux yeux de Refn. Tant et si bien qu'il se plait à y explorer les marges (l'oasis des égouts, la plage au phare) et n'utilise l'urbanisme de la Cité des Anges qu'à des fins purement scénaristiques, fonctionnelles - à l'instar du Stade de Football utilisé pour couvrir la fuite des gangsters de l'introduction.

Non pas un film de réseau donc, mais un film centré sur son protagoniste, à l'instar de Valhalla Rising qui mettait en scène la Découverte de l'Amérique sous un angle macroscopique, trivial et, au final, fort comique. Drive ne partage cependant pas l'intransigeance de son prédécesseur mais baigne dans une intertextualité très 2011. Refn n'hesite pas à basculer dans le pur lyrisme en utilisant le "Oh my Love", extrait de la bo des Negriers (1971) du compositeur italien Riz Ortolani (souvent utilisé par Quentin Tarantino) pour mettre en scène le meurtre de Ron Pearlman. L'utilisation du phare, qui balaye la scène d'un halo d'irréalité, n'est pas non plus sans évoquer le Big Combo de Joseph H. Lewis (réalisateur ultime de la série B des années 60). Evoquons aussi la référence évidente (peut-être même un peu trop) au Scarface de Brian de Palma lors d'une fusillade express dans une chambre de motel...

Il est toujours amusant (et un peu jouissif) de voir un cinéaste s'épanouir avec un scénario aussi structuré, voire banal. Le script obéit à la règle des trois actes et propose les scènes d'action réglementaires (prégénérique, fin du deuxième acte, climax) et un protagoniste uniquement défini par son but. Antipsychologique, profondément américain.
Ce qui fascine, c'est la propension de Refn à dynamiter cette structure, à dilater la temporalité, à supprimer des dialogues entiers au profit d'un sourire éloquent ou d'un visage en sueur. Tout en proposant de vrais grands moments de cinéma, à l'image de la scène d'introduction, splendide de maitrise et de tension.

Ni rentre-dedans, ni transigeant, Refn opère son visage américain avec une sérénité qui force le respect. Pur film américain à sensibilité européenne à peine voilée, Drive sait maquiller les quelques scories de son auteur (distanciation parfois un peu vaine, conclusion facile) derrière une vraie maitrise de la mise en scène, et une vraie compréhension de la culture américaine. Le film propose en ce sens un agencement malin de références iconoclastes, d'universalité absolue et de pur storytelling à l'americaine.
Antoinescuras
8
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le 4 oct. 2011

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Antoinescuras

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