Le onzième long-métrage de Thomas Vinterberg est un film « Canada dry », sur le modèle de cette boisson qui présentait les apparences de l’alcool sans toutefois en être réellement...


Le titre, provocant, « Drunk » (« Druk », en VO), affiche l’ébriété et c’est bien elle qui sera d’abord mise en avant. Quatre enseignants en perte de vitesse, dans l’exercice de leur métier comme dans la conduite de leur vie privée, décident d’expérimenter les théories du psychiatre norvégien contemporain Finn Skårderud, théories selon lesquelles l’homme serait en déficit constant d’alcool dans le sang. Il suffirait donc d’y remédier, afin d’accroître leur bien-être et leurs performances relationnelles.


La caméra très mobile de Vinterberg et de son chef opérateur Sturla Brandth Grølven s’engouffre ainsi dans un premier mouvement très festif, débordant de malice, d’humour et de drôlerie. Le quatuor d’acteurs incarne les personnages avec un naturel et un entrain qui forcent l’admiration et laissent souvent perplexe quant aux conditions réelles de tournage... Loin de son rôle hiératique dans le superbe « Michael Kohlhaas » (2013) d’Arnaud des Pallières, Mads Mikkelsen remobilise ses qualités d’ancien danseur - et cela jusque dans la dernière scène - de manière impressionnante et pousse loin l’exploration d’une forme de lâcher-prise apparent. Ses trois compagnons d’expérimentation ne sont guère en reste : Thomas Bo Larsen, Magnus Millang et Lars Ranthe. Un montage, assez réjouissant, dressant une brève anthologie de moments d’ivresse chez des hommes politiques de premier rang, entreprend d’illustrer cette intrication de l’alcool dans les existences contemporaines, même les plus éminentes. Le tout est emmené par une musique trépidante, qui participe à l’énergie du film et lui permet d’atteindre une dimension cathartique, faunique.


Mais l’accélération des particules produit une bombe, et de même l’intensificateur de vie qu’est l’alcool ne tarde pas à pulvériser ses pratiquants trop forcenés. Thomas Vinterberg nous fait ainsi assister à la fragmentation du groupe, entre ceux qui, ayant perçu les dangers de l’expérience, sauront s’en retirer, et celui pour lequel un retour en arrière sera impossible. Quand vivre vous tue... Se faisant plus grave, le propos devient existentiel : entre une « sous-vie » anesthésiée et une « hyper-vie » explosive, où placer le curseur de manière à ce que la vie se trouve chargée de suffisamment d’intensité pour être savoureuse, sans pour autant devenir mortelle à trop brève échéance ?... Le scénario oriente l’attention vers la charge de plaisir dont peuvent être porteurs les liens humains ; charge autrement vitale...


Entre légèreté, drôlerie, et gravité, le réalisateur de l’incroyable « Festen » (1998) retrouve sa fécondité la plus jaillissante et, à travers un film solaire et dionysiaque, se pose définitivement comme le cinéaste de la crise existentielle. S’il s’agit ici de retrouver l’ivresse de vivre, qui se risquerait à y renoncer ?

AnneSchneider
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le 18 oct. 2020

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Anne Schneider

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