Trente-sept ans après l'adaptation de Lynch, Denis Villeneuve est le nouvel Élu chargé de porter la complexité du titanesque univers SF de "Dune" à l'écran. Mais là où un film controversé n'avait pas suffit à convaincre tout le monde, Villeneuve lui a de plus grands plans : deux films pour conter le parcours de Paul, jeune héritier des Atréides, qui, dans cette première partie, va devoir se révéler, endurer les pires épreuves d'un terrible jeu de pouvoirs et, enfin, disparaître derrière le plus grand rôle dans lequel l'inscrit sa destinée.
"Dune" version 2021 s'arrête ainsi quasiment à la moitié du film de Lynch et a donc la chance de bénéficier de plus amples développements pour installer sa dimension mystique, la mythologie tentaculaire de son contexte, ses acteurs-clés et les enjeux en cours et à venir... mais aussi de frustrer en n'étant justement que la première partie d'un diptyque dont toute l'ampleur prendra évidemment encore plus de sens devant la découverte de l'oeuvre dans sa totalité.


Cela dit, comment ne pas déjà se régaler devant les partis pris de Villeneuve qui, réussissant à trouver un étonnant (et assez unique) compromis de tous les instants entre la SF hardcore et celle plus grand public, parviennent à étaler toute la richesse de ce monde géopolitique en plein bouleversement néfaste tout en ne s'éloignant jamais de la perspective personnelle de son héros, conditionné par sa nature unique à en être le grain de sable imprévisible ?
Sans tomber dans une bête vulgarisation ou un gloubi-boulga indigeste pour le néophyte, l'introduction de Villeneuve bluffe par la simplicité de sa présentation, tout y est abordé avec un naturel parfaitement compréhensible dans les grandes lignes : les visions, l'exposition de ce qui se joue sur la planète Arrakis, les forces en opposition... Il suffit juste de quelques minutes pour que l'on soit immergé dans l'univers de "Dune" et ses terminologies atypiques avec la soif d'en découvrir toujours plus. Et le film ne fera que nous récompenser en ce sens, de la splendeur grandiloquente de l'arrivée d'une délégation protocolaire chez les Atréides aux confins lovecraftiens des forces de l'Empire jusqu'à la beauté aride d'Arrakis secoué par les vrombissements des vers de sable, le panel de cette galaxie de peuplades et de mondes se révèlent constamment à nous dans la parfaite symbiose des partitions singulières de Hans Zimmer et des idées visuelles de Villeneuve pour en souligner les caractéristiques intrinsèques à chacun et positionner le jeu d'échecs politique qui se met en place en défaveur des Atréides.
La rigueur séculaire d'un système n'ayant que pour but de chercher à perdurer en éliminant tout qui l'entrave s'abat de façon implacable en se mariant avec le style de Villeneuve, figeant les personnages dans la froideur austère de leurs positions respectives où ils ne sont en réalité que des pions vivant ou mourant au bon vouloir de l'Empereur. Mais, dans cet environnement où les ténèbres cherchent à annihiler toute once d'humanité, celle-ci subsiste, s'égrènant sur le chemin de Paul pour le guider sur les pas de la prophétie qu'il a à accomplir, que ce soit au travers d'une mère partagée entre les désirs cachés de sa caste et l'amour pour son fils (magnifique scène du test où Rebecca Ferguson excelle à nous faire ressentir le déchirement de son personnage), du regard bienveillant d'un père, d'une amitié virile, de la souffrance d'une perte impardonnable, des visions d'une figure féminine et... de Paul lui-même, jeune homme rempli d'hésitations face à la stature que le destin cherche à lui faire embrasser (le choix de Timothée Chalamet pour l'interpréter est parfait). En cela, au-delà des épreuves qu'il doit subir et du côté spectaculaire qu'elles induisent au cours d'assauts belliqueux mémorables tout au long du film, "Dune : Part One" (car c'est bien son titre) se conclut judicieusement sur la plus fondamentale d'entre elles, celle par laquelle Paul doit abandonner celui qu'il était pour devenir celui qu'il est censé être, toute la symbolique que Villeneuve met un point d'honneur à traduire par l'image atteint ici sa quintessence dans ce "simple" affrontement final où la mort et les larmes versées (l'eau) ont une importance capitale, celle de conduire son héros -et nous avec- sur le commencement de ce qui sera sa véritable odyssée dans une deuxième partie dont on se prend déjà à rêver...


Peut-être que le seul gros reproche que l'on pourrait adresser au film est d'être finalement tiré d'une histoire désormais connue de tous, non seulement par les lecteurs du roman et/ou les spectateurs de la première version cinématographique mais par tous ceux ayant lu ou visionné des œuvres de SF qui ont allègrement pillé "Dune" au fil des années, diminuant ainsi l'effet de surprise de l'ossature de ses rebondissements principaux ou donnant un méchant coup de vieux anachronique à certains d'entre d'eux (au hasard, tout ce qui entoure une certaine traîtrise, trop rudimentaire aujourd'hui dans ses modalités)... Toutefois, les efforts d'un cinéaste que l'on sent si immodérémment amoureux et respectueux de l'oeuvre qu'il a la chance de mettre en scène nous font assez vite pardonner les quelques passages obligés croisés sur la route de Paul tant on a envie de la poursuivre en sa compagnie. Et on est prêt à parier tous les containers d'Épice de la planète Arrakis que la suite nous les fera complètement oublier par l'envergure encore plus imposante qu'elle sera amenée à prendre. Déjà très haut, "Dune: Part One" pourrait même en ressortir plus grand à sa lumière. Vivement !


8.5/10

RedArrow
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le 21 sept. 2021

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RedArrow

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