Je ne vois pas quoi demander de plus à un film. Vu à Paris, sur graaand écran, avec des effets sonores époustouflants, évidemment, ça rajoute. Mais même sans ça, voilà l'adaptation remarquable d'une saga romanesque dense et ambitieuse, qui a déjà découragé quelques tentatives. La version de 84 n'était pas du tout infamante, loin de là, et, comme j'avais lu les livres, je ne m'y étais pas perdue. Mais je n'avais pas non plus ressenti le même choc visuel, malgré quelques morceaux de bravoure. En matière d'image, nous vivons vraiment une époque bénie. Depuis la folle cavalcade du Faucon Millénaire dans les entrailles d'un croiseur impérial échoué sur les sables d'une planète surchauffée dans l'Episode VII, les concepteurs graphiques hollywoodiens ont gagné leurs galons haut la main en matière de SF grandiose. On imagine mal quelle pourrait être la prochaine étape du tape-à-l'oeil interstellaire. Et Blade Runner 2049 avait, pour sa part, démontré que cette magnitude pouvait se doubler d'une esthétique artistique subtile, au service d'une histoire en demi-teintes. Je m'attendais donc à du spectaculaire; j'ai été servie. Les différentes maisons de cette saga politico-ésotérico-commerciale bénéficient chacune d'une ambiance léchée, qui colle parfaitement à l'esprit de ce qu'elles incarnent : une technologie industrielle froide et prédatrice pour les Harkonen, une technologie empreinte d'une tradition familiale fondée sur des valeurs paternalistes pour les Atréïdes, un sens de l'honneur calqué sur une nature sauvage indomptable pour les Fremen (dont le folklore lorgne nettement vers les traditions orientales, ce qui rajoute un petit côté contemporain au bras de fer entre les géants industriels et les peuples du désert, suivez mon regard...), une intransigeance religieuse doublée du culte du secret pour les sorcières du Bene Gesserit, et j'attendrai le second opus pour me faire une idée du sort réservé à l'Empereur et à la Guilde, le cas échéant. Chacun de ces univers est l'occasion d'un tour de force visuel, sans que les décors ne phagocytent l'intrigue. C'est bien le personnage de Paul, confié à un adolescent qui tient la dragée haute au pâlot Kyle McLachlan, qui fait le lien entre ces mondes différents et assure la cohérence d'un récit long comme un ver des sables, dont l'essentiel reste pour l'instant planqué sous les ondulations sableuses d'Arrakis. Quand on a lu les livres, on sait où l'on va, mais ça n'empêche en rien de se régaler à découvrir comment on y va. Certaines scènes sont à couper le souffle, comme le combat au bouclier entre Paul et son maître d'armes, ou la destruction de la capitale du Duc Leto. Malgré tout, certaines répliques, dont la dernière, ne respirent pas la subtilité et plombent un peu l'effet de complexité recherché par un scénario qui, au demeurant, sait ne pas s'égarer entre les pages de l'imposante et assez littéraire saga. Mais peu importe : le casting est impeccable, on en prend plein les yeux, la bande son est d'une richesse folle, et l'histoire vaut son pesant d'or. Bref, un autre tour de force de Denis Villeneuve, à qui j'ai bien envie d'élever un autel auprès de celui de Christopher Nolan, au risque de ne pas paraître extrêmement originale sur cette action...